Une usine à soin

usine à soin

Comment encore prendre soin ?

 

Nos structures hospitalières d’aujourd’hui sont loin d’offrir l’écrin nécessaire au prendre soin.
Comment les soignants font-ils pour réussir à préserver l’humain dans le soin ?
C’est vrai quand on y réfléchi un peu, quelqu’un qui traverse une maladie n’a pas d’autres choix que d’être soigné dans une structure de soins. Bien sur ce qu’il vient chercher à ce moment-là c’est avant tout une compétence permettant la guérison. Mais à quel prix ?

 

L’alimentation :

Ce n’est plus priorité pour les structures hospitalières. Tout est sous-traité, arrive des cuisines centrales, les plateaux arrivent sous vide, avec pour seul objectif :  répondre aux normes alimentaires. La nourriture est archi cuite, il y a très peu de saveur, plus aucune vitamine, les chaînes du chaud et du froid sont respectées au détriment du goût et des propriétés nutritives. Ce temps de repas qui finalement reste le seul moment où la personne malade peut prendre du plaisir a disparu. Mis à part le sans sucre, sans sel, et autre enrichissement diététique en lien avec des régimes spécifiques, le plaisir, le goût, et les vitamines ne font plus partis des assiettes.
Quel dommage ! Quelle perte précieuse que de ne pas considérer l’alimentation comme le premier allié de la médecine occidentale ! 

 


Le repos : 

Lorsque le corps combat une maladie il a besoin de repos. Nos grands-mères nous le répétez déjà quand on était malade : il faut dormir. Hors à l’hôpital, il semblerait que ce soit le dernier endroit propice à la récupération. Je ne parle pas là des bruits de va-et-vient incessant des soignants dans les couloirs, de jour comme de nuit. Je parle du rythme qui s’impose aux soignants, et donc aux patients. Les réveils très matinaux, À partir de cinq heures du matin, pour permettre prise de sang, prises de constantes, toilettes, et toutes préparations d’examens. Les heures des repas sont adaptés au fonctionnement du service. Souvent très tôt le soir, avec aucune possibilité de se voir réchauffer son repas, chaine du froid oblige, si l’on ne peut pas manger à l’heure. Dans beaucoup de structures hospitalières la proposition de la tisane du soir servie par l’équipe de nuit, ou de la collation de 16 heures, qui apportaient un moment d’échange de réconfort, ont disparu. Plus de temps, plus d’argent. Le patient devient un objet de soins où chaque corporation, pour répondre à son objectif, va faire son travail sans se préoccuper de la globalité des soins qu’il peut recevoir sur une journée. Il n’y a plus de vision globale de la prise en soin sur une journée.
L’aide-soignant fait son travail, l’infirmier ses soins, le médecin sa visite, le brancardier son transfert, le scanner son examen, le labo son bilan, L’ASH son ménage, la radio, L’I.R.M., le bloc opératoire, le kiné, la diététicienne, etc, etc …. 
Cela amène le patient à vivre des journées incroyablement denses où les moments de repos sont quasi inexistant. 

 


Le dialogue : 

La communication. La grande frustration des soignants. Ne plus avoir le temps d’échanger, de discuter, de rassurer. C’est moment où le soin est un prétexte pour rentrer en contact avec le patient. Ce temps indispensable qui est le terreau des professions paramédicales. Récemment j’ai encore entendu le témoignage d’une patiente ce qui se remémorait avec émotion la patience et la présence des soignants de nuit à son chevet. Elle parlait de cette attention, de cette parole réconfortante, de ce sourire, de cette main, de ce qui est venue l’aider pour traverser son épreuve en réanimation. 
Tout les jours nous rendons hommage aux soignants et tous les jours les soignants souffrent de ne plus avoir le temps. Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment avons-nous pu oublier combien la technique et la science ne sont utiles que si l’échange est présent ? 
Comme le bébé qui ne peut grandir que si nous le regardons et nous l’aimons. Un bébé dont on s’occupe sans amour et sans regard se laisse mourir. Mais nos patient c’est pareil …. Comment imaginer que l’on puisse leur apporter technique et soins sans présence, sans empathie, sans communication, sans réconfort ? 

La traçabilité : 

Aaaaaah !!!!!! C’est le sida de l’hôpital. C’est le virus contre lequel il n’y a aucun traitement. Nous pouvons essayer de limiter son évolution mais nous n’arriverons jamais à obtenir la guérison. Ce virus nous ronge de l’intérieur et nous pouvons le voir nous faire mourir à petit feu.
Les étiquettes, les bracelets aux patients, les codes informatiques, les morphiniques, les produits sanguins, les documents de personne de confiance, les consentements, les transmissions, les comptes rendus, les constantes, les bilans, les médicaments, les produits dérivés du sang, les chimio, les permissions, les papiers de sorties, d’entrées, les fiches de liaisons, les péremptions, les vérifications, et ça continue encore et encore.
Cette traçabilité pourrit l’existence des soignants. Elle permet aux technocrates qui imaginent nous simplifier la vie en ayant jamais mis les pieds sur le terrain, que de remplir des cases et cocher des colonnes, va garantir aux patients un meilleur système de santé et donc de meilleurs soins. Pffff, baliverne, elle nous éloigne du prendre soin en faisant de nous des blouses blanches derrière un ordinateur plutôt des soignants au lit d’un patient. 

 


Le matériel : 

Qui n’a pas connu la potence à trois roues au lieu de quatre, l’adaptable qui ne monte plus, l’appareil à tension qui ne marche plus, le manque de matériel, les gants trop grand ou trop petit, le lit cassé etc etc … Ce qui vient rajouter de la complexité au prendre soin. Quand on perd du temps à se battre avec un matériel qui ne fonctionne pas, un ordinateur qui bug, un formulaire informatique qui ne marche pas …. On perd du temps auprès du patient.
Et la réponse à la fin de l’année pour le budget de l’année suivante : Pas de possibilité de remplacer le matériel cassé. Pas de budget. 
Donc comment continuer à prendre soin des patients ? Parce que c’est quand même le plus important dans l’histoire de l’évolution hospitalière non ? Ne pas oublier qu’au centre du système il y a une personne vulnérable qui demande à ce que des professionnels s’occupent d’elle ? 

 


 

Il me semble que les soignants sont ceux qui expriment et se battent le plus pour préserver ce prendre soin. 

Les protocoles tuent cette humanitude. 
Une équipe peut tout à fait envisager de travailler autrement que ce que propose le schéma hospitalier dans lequel elle baigne et dont elle se transmet les codes de génération de soignants en génération de soignants. Il est devenu plus important aujourd’hui de terminer son travail en temps et en heure pour ne pas « laisser » du boulot à l’équipe d’après, que de s’adapter aux besoins des patients. 

Exemple : 

La toilette c’est le matin, point barre. Si vous avez envie ou l’habitude de vous doucher le soir, et bien vous avez votre toilette le matin. Point. 
Parce que si les soignants laissent des toilettes l’après-midi, aie aie aie, ça passera mal. 
Les pansements c’est pareil.
On peut voir que les journées en 12H permettent cette souplesse dans l’organisation des soins, parce qu’il n’y a plus de relève à 14h et que du coup les soignants s’organisent comme ils le veulent. 
On ne peut bien sûr pas envisager des soins à la carte puisque les services sont de plus en plus gros et les soignants de moins en moins nombreux, mais entre des soins à la chaine sans réfléchir à ce que l’on fait et du cas par cas, il y a un juste milieu à trouver. 
Les bilans sont-ils vraiment tous nécessaires ? 
Les radios ?
Nous posons-nous vraiment la question de ce qui est essentiel pour ce patient à ce moment là plutôt que de céder à la facilité de prescrire et d’exécuter ? 
Une patiente récemment n’a plus voulu de bilan à 5h du matin car elle était trop fatiguée et elle voulait préserver son peu d’énergie pour combattre son cancer et supporter sa chimio. L’infirmier du matin lui dit que c’est prescrit et qu’il doit la faire. 
Elle lui demande ce qu’il cherche avec ce bilan ?  L’infirmier lui répond que c’est le médecin qui pourrait lui répondre, lui il est là pour effectuer l’examen. 
Elle a souhaité attendre le médecin et a refusé son bilan. 
Le médecin a convenu qu’il pouvait lui prescrire un bilan tous les 2 jours plutôt que tous les jours vu qu’elle se sentait bien. 
Cette réflexion et cette adaptation n’est possible que lorsque le patient se positionne et arrive à se positionner sur ses propres besoins, en les exprimant clairement. Ce genre de remarque nous permet de prendre conscience que nous sommes dans une habitude de soins et non dans du prendre soin. 
Une réflexion d’équipe permet vraiment de mettre en place un prendre soin, ensemble, dont le patient est l’unique objectif. Hors aujourd’hui le fonctionnement de l’équipe est souvent l’objectif premier. 
Les soignants continuent à essayer d’innover et de créer pour maintenir ce prendre soin et résister à cette injonction que les équipes reçoivent pour assurer le fonctionnement du service et « le bon déroulement » des soins. 
Résumons : 
  • Partager 
  • Créer
  • Innover
  • S’adapter
Se sentir libre dans le cadre et non appliquer le cadre sans réfléchir. Ne pas dépasser la limite et cultiver sa liberté à l’intérieur du cadre. 
Ne pas perdre de vue le patient et laisser de côté le confort de l’équipe au détriment du confort du patient. 
Il en va de l’équilibre des patients, de nos proches, et peut-être un jour de nous-mêmes si nous nous retrouvons derrière la barrière. 
Osons proposer des manières différentes du prendre soin, les soignants sont le dernier rempart avant la déshumanisation des soins. 
Ces hôpitaux deviennent des usines à soins mais nous ne sommes pas des salariés qui travaillons à l’usine. Je continuerai aussi longtemps que j’exercerai, à être anti-conformisme et à refuser d’appliquer une prescription ou un protocole si cela ne semble pas être en faveur du patient ou de sa prise en charge. 
Je continuerai à dire ce que je pense parce que je suis convaincue que les para-médicaux ont un rôle essentiel auprès du patient et sont le maillon qui permet encore un peu de chaleur humaine dans nos hôpitaux et aux domiciles des patients. 

 

Je vous invite à découvrir cet article si vous ne l’avez pas encore lu : La souffrance du soignant 

2 Comments

  • Barbry

    En ce qui nous concerne ds notre service tout neuf bcp de matériel… C’est appréciable et pour ce qui est de l’organisation de la journée nous avons la chance de pouvoir vivre au rythme de bb et de ses parents… Les toilettes les tétées les changes… Avec « les soins de développement mis en place ds le service on intervient que lorsque bb nous montre qu’il veut bien être acteur.ds le soin que l’on va lui proposer … Et non l’inverse c’est prenant parce que nous devons être disponible à tout moment mais c’est aussi très agréable parce que l’enfant est vraiment plus cool et progresse très vite ????on a bcp de chance de travailler avec eux de cette manière même si nos supérieurs nous suppriment petit à petit le nombre de personnel nécessaire (polyvalente oblige….. ????)

    • Cylie

      C’est vrai que la pédiatrie a toujours eu de l’avance en terme de respect de rythme et d’adaptabilité… Même en terme de couleur et d’aménagement. Ça devrait être pareil pour les adultes… Merci de ton témoignage et bravo pour votre unité 🙂

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