Quand il arrive dans le service de cardiologie, il vient juste d’échapper à la mort. Son insuffisance cardiaque terminale lui fait des frayeurs. Ce ne sera pas pour cette fois. Le cap critique est passé.
Il a une vilaine plaie au pied, un bouton de moustique nous dit-il. Cela ressemble à un truc infecté, purulent, noir, bref à tout sauf à un bouton de moustique.
Il nous dit que c’est sa femme qui le soigne. Un peu de feu pour brûler le mal, des concoctions, des cataplasmes et le tour est joué. Enfin sur ce coup là le tour est perdu.
L’épouse en question ne vient pas à l’hôpital. Très fuyante elle crie au téléphone vouloir récupérer son mari. Elle ne veut pas d’infirmier à domicile ni d’hospitalisation à domicile. Elle dit se débrouiller très bien toute seule.
Un vent de suspicion commence à flotter sur la bienveillance de l’épouse vis à vis de son mari de 70 ans. N’est-elle pas un peu maltraitante ?
Les fils que l’on rencontre nous racontent une mère pas tendre dans l’enfance, très superstitieuse et amatrice de sorcellerie. Mais même si elle n’est pas parfaite, il l’aime et ne souhaite pas que l’on intervienne. Elle a toujours été comme ça et papa c’est toujours accommodé de cette situation.
Alors on fait quoi ? On le renvoie à la maison avec le risque que la plaie s’infecte ? Lui nous demande à rentrer à corps et à cri. Est-ce que l’équipe en charge fait un signalement pour risque de maltraitante ?
Mais pour qui vous vous prenez ? Ce monsieur vient pour une poussée d’insuffisance cardiaque aiguë et vous allez vous immiscer dans son intimité ? Alors quand on rentre à l’hôpital il faut s’assurer d’avoir une vie dans les clous, un conjoint irréprochable, d’être un parent bienveillant et un professionnel sérieux. On ne peut pas avoir une vie différente de cette sacro-sainte norme sociale : marié, 2 enfants, hétérosexuels, non malade, mangeant de tout, mince, avec une bonne situation socio-culturelle, sans problèmes particuliers, bonnes relations sociales, vivant en société et j’en passe et des meilleurs.
Pourquoi les soignants se sentent une âme de justicier, se sentent obligés de s’intéresser à tout chez l’autre ? Et si cet homme l’accepte depuis 45 ans c’est qu’il a peut être fait un choix. Il n’est pas mineur mais majeur consentant et capable d’exprimer ce qu’il souhaite pour lui.
Et si après le signalement ils sont séparés, elle seule et lui en EPHAD seul, et les enfants éclatés, on aura servi à quoi ? à qui ? On aura rendu service à qui ? Qui nous aura dit « merci de m’avoir sauvé » alors que personne ne le demande ? D’ailleurs qui veut-on sauver dans l’histoire ? Pourquoi voulons-nous sauver l’autre pour le conformer à notre image ?
La puissance des soignants est parfois sans limite. Les gens ne devraient pas être jugés sur leurs choix quand ils viennent à l’hôpital….
Cynthia
Défi N°2, article 14/30