Le droit à mourir ou le droit à vivre ?
Épisode 4/6
Dans les trois derniers articles, je vous ai présenté les 4 pays qui ont légiféré sur l’euthanasie et/ou le suicide assisté depuis plus de 10 ans, par dépénalisation ou légalisation.
Nous allons maintenant voir ce qui se passe chez nos voisins européens. A la fin de cet article, vous aurez donc une idée globale de la législation sur le suicide assisté et l’euthanasie en Europe.
En France, nous entendons souvent dans les débats que nous avons un « train de retard » par rapport aux autres pays sur la législation concernant l’euthanasie, mais est-ce vraiment le cas ?
Sommes-nous vraiment les derniers à réfléchir avant de proposer une loi sur le sujet ? Vous serez certainement surpris de ce qui va suivre.
Si vous n’avez pas lu les trois derniers articles, je vous propose de les découvrir ici, afin de suivre la chronologie des réflexions que permet la publication de cette série d’articles ☺
La Belgique
La suisse
Les Pays-Bas et le Luxembourg
Dans un premier temps, il est important de souligner que l’Union Européenne est plutôt silencieuse sur cette question. J’ai retrouvé quasiment aucun texte qui pouvait témoigner de l’engagement à la réflexion sur l’euthanasie et/ou le suicide assisté en Europe. Chaque pays est encore très indépendant pour traiter de ce sujet à l’intérieur de ses frontières.
La preuve en est que dans l’affaire « Pretty », qui opposait une dame atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) au Royaume-Uni, la cour de Strasbourg n’a pas condamné le Royaume-Uni d’avoir interdit la requête de suicide assisté de Mme PRETTY. Pour mémo, elle avait demandé au nom de l’article 2 de la Convention Européenne des droits de l’homme, le droit de mourir dignement en demandant une aide médicale à mourir. Le refus s’est basé sur l’argumentaire que le droit à mourir n’est pas l’inverse du droit à la vie. La cour a donc renvoyé au Royaume-Uni et aux États membres, le soin d’encadrer la fin de vie. Mme Pretty n’a donc pas eu accès au l’aide médicale à mourir.
A contrario, en France, au nom du même article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour de Strasbourg se prononce en faveur d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation pour Vincent LAMBERT. En effet, ce sont le demi-frère et la demi-sœur de Vincent LAMBERT qui considèrent l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation comme contraire à cet article et donc au droit à la vie. Ils demandent à la cour de Strasbourg d’interdire l’arrêt des traitements malgré la décision médicale qui a été prise.
Dans une situation il y a une demande à mourir au nom de cet article, dans l’autre c’est une demande au maintien en vie au nom du même article.
Nous touchons du doigt ici toute la grande complexité d’imaginer une législation qui viendrait répondre aux besoins des hommes sur leur fin de vie, et qui viendrait satisfaire ce besoin de préserver la dignité.
Digne de vivre ou digne de mourir ?
Je vous invite, si cela vous intéresse, à découvrir ici les autres cas européens qui ont nécessité l’instruction de la cour européenne.
En l’absence d’une harmonisation européenne, nous avons donc une Europe divisée sur ce sujet, avec des législations très différentes.
Je vais commencer par vous parler des pays qui interdisent l’euthanasie, mais qui propose une suspension thérapeutique en cas de pronostic engagé. Dans ces pays-là, le médecin, en accord avec le patient et/ou la famille, pourra décider d’un arrêt des traitements qui pourraient relever d’un acharnement thérapeutique.
En France, une loi sur le droit des malades en fin de vie est en vigueur, je vous la présenterai dans le dernier article de cette série, mais dans d’autres pays, c’est souvent les décisions des tribunaux et la pratique qui apporte des réponses au cas par cas.
PAYS OU L’EUTHANASIE RESTE ILLÉGALE MAIS OU IL EXISTE UNE DÉMARCHE DE RÉFLEXION POUR LA PRISE EN CHARGE DES MALADES QUI VIVENT DES SOUFFRANCES INTOLÉRABLES
(suicide assisté ou arrêt des thérapeutiques actives)
La France : Plus de dix ans après la loi Leonetti de 2005, le parlement français a approuvé en 2016 la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. Nous y reviendrons dans le dernier article de cette série.
Le Danemark : L’euthanasie est interdite, mais un patient incurable peut décider l’arrêt des traitements. Depuis le 1er octobre 1992, en cas de maladie incurable ou d’accident grave, les Danois peuvent faire un « testament médical » que les médecins doivent respecter. Cela correspond à un arrêt des thérapeutiques actives.
L’Italie : L’euthanasie est interdite. L’euthanasie active est considérée comme un homicide volontaire et le suicide assisté comme un délit. Cependant, le droit de refuser des soins est reconnu par la Constitution, sans que la réponse à apporter à ce refus soit écrite clairement.
Le Royaume-Uni : (Encore dans l’Europe, lol), l’euthanasie est interdite. Depuis 2002, la justice autorise l’interruption des soins dans certains cas. Depuis février 2010, les poursuites sont moins systématiques contre les personnes aidant un proche à se suicider par compassion, à condition que ce dernier en ait clairement exprimé l’intention.
L’Allemagne : La législation Allemande n’a pas encore écrit de texte de loi sur l’euthanasie, en revanche les choses bougent par l’intermédiaire des tribunaux. L’arrêt des soins actifs comme débrancher une machine de suppléance vitale, n’est pas illégale si le patient a donné son consentement.
Si l’administration d’un médicament mortel est condamnée (euthanasie), la Cour d’appel de Francfort a fait jurisprudence. L’euthanasie peut être décidée si elle correspond sans ambiguïté à la volonté des patients (l’acte est alors considéré comme un « suicide »).
Cette décision très médiatisée pourrait rapprocher Berlin de la conception française. En novembre 2015, le Parlement allemand a décidé que, si l’arrêt des soins est autorisé en présence du consentement du patient, cet acte ne peut faire l’objet d’un échange commercial.
L’Espagne : L’euthanasie n’est pas autorisée, mais les malades ont le droit de refuser d’être soignés. Depuis la dépénalisation du suicide assisté et de la limitation de soins en 1995, les peines d’emprisonnement prévues ne s’appliquent pas lorsque le malade a fait une demande instante et réitérée, qu’il souffre d’une maladie incurable ou d’une affection entraînant des douleurs permanentes et difficiles à supporter.
Le Portugal : L’euthanasie comme le suicide assisté sont considérés par le code pénal comme des homicides qualifiés. Toutefois le conseil d’éthique accorde l’arrêt des traitements pour certains cas « désespérés ».
La Norvège : L’arrêt des traitements est autorisé pour les patients en fin de vie qui en font la demande. En cas d’inconscience du patient, un proche peut faire la demande pour lui.
Hongrie et République tchèque : Les malades incurables peuvent refuser leur traitement.
Slovaquie : Si « l’euthanasie et le suicide assisté sont inacceptables », le personnel médical « atténue la douleur des malades incurables et des mourants (…) et respecte les souhaits du patient en accord avec la législation ».
Suisse : L’euthanasie est je vous le rappelle interdite, mais le suicide assisté bénéficie d’un vide juridique. L’aide au suicide est légale si elle est accompagnée du feu vert d’un médecin.
PAYS OÙ L’EUTHANASIE, LE SUICIDE ASSISTÉ OU L’ARRÊT DES THÉRAPEUTIQUES SONT STRICTEMENT INTERDITS
Grèce, Roumanie : L’euthanasie, le suicide assisté ou l’arrêt des thérapeutiques y est strictement interdit. Tout contrevenant s’expose à une peine allant jusqu’à sept ans de prison.
Bosnie, Croatie et Serbie : L’euthanasie est punie au même titre qu’un homicide.
Pologne : L’euthanasie est passible de 3 mois à 5 ans de prison, mais « dans des cas exceptionnels », le tribunal peut atténuer la peine, voire renoncer à l’infliger.
Irlande : La loi ne fait pas mention de l’euthanasie. Toute forme d’assistance à la mort ou de suicide est illégale et passible de 14 ans de prison.
Islande : 75% de la population s’est prononcée en faveur de l’euthanasie, cependant aucune mention n’en est faite dans le code pénal. L’euthanasie est passible, au minimum, de deux ans de prison.
PAYS QUI AUTORISE L’EUTHANASIE OU LE SUICIDE ASSISTÉ
Pays-Bas : Comme vous le savez maintenant grâce à l’article qui lui a été consacré, il s’agit du premier pays au monde à avoir légalisé l’euthanasie, sous certaines conditions. Des médicaments mortels peuvent être légalement administrés par un médecin, en cas de maladie incurable ou de souffrance intolérable, à des patients l’ayant demandé en toute conscience.
La loi, votée en 2001, assure par ailleurs une plus grande sécurité en faveur des médecins. Ceux-ci peuvent pratiquer l’euthanasie sans risque de poursuites judiciaires s’ils respectent certains « critères de minutie ».
En juin 2015, l’association des pédiatres néerlandais s’était publiquement prononcée en faveur d’une extension du droit à la mort aux enfants de moins de 12 ans. À ce jour, la loi n’a pas été modifié.
Belgique : Là aussi vous êtes incollables ☺, la loi de septembre 2002 a partiellement légalisé l’euthanasie en l’encadrant très strictement. Le médecin « ne commettra pas d’infraction » dès lors que le patient, victime d’une « souffrance physique ou psychique constante et insupportable » des suites d’une « affection accidentelle ou pathologique incurable », « se trouve dans une situation médicale sans issue ».
De plus, le Parlement belge a adopté le 13 février 2014 une loi autorisant l’euthanasie des mineurs en phase terminale et qui en font la demande. Ce droit, unique au monde, est toutefois soumis à l’accord des deux parents et à l’évaluation du discernement de l’enfant afin de déterminer s’il est conscient de toutes les conséquences d’un tel choix.
Luxembourg : L’euthanasie a été légalisée en mars 2009, en cas de situation médicale « sans issue », mais elle est interdite pour les mineurs.
Nous touchons du doigt, à la lecture de cet article et des trois premiers, toute la complexité d’amener du droit dans les situations humaines. Toute la difficulté de répondre par le juridique à des souffrances qui sont au final très personnelles et très personnes dépendantes. Bien sûr que d’apporter un cadre permet de baliser les pratiques et de réfléchir en sécurité, au sein de ce cadre, à ce qui est bien et ce qui est mal. Mais comment une loi peut-elle emmener des réponses là où l’individualité, la souffrance, les projections sont à leur paroxysme ?
Chaque individu amorce dans ce qu’il vit ce que l’on appelle un travail de deuil. Chaque personne vit à sa manière l’acceptation de ses propres pertes et de son autonomie. Une maladie chez un individu ne sera pas vécue de la même manière chez un autre individu. Des paramètres comme l’entourage, l’âge, le niveau socio-culturel, la spiritualité, la religion, la personnalité entre en ligne de compte dans la manière dont l’individu va percevoir sa maladie et sa propre finitude.
Aucun pays ne présente une population entièrement satisfaite de sa législation ou interdiction sur la fin de vie. Chaque pays d’Europe trouve à redire en matière d’inhumanité ou d’humanité sur la loi en vigueur dans son pays.
Est-ce que la réponse adaptée passe donc forcément par une législation ?
Est-ce qu’une loi permettra de combler l’angoisse, la souffrance, et l’inacceptable qui sont présentes lors des situations médicales incurables et insupportables ?
Peut-être pensons-nous répondre à un besoin qui ne pourra jamais être satisfait car la mort fait partie de la vie? N’est-ce pas notre société qui aujourd’hui a perdu tous repères dans l’accompagnement de fin de vie. Il n’a plus de sens. La vie n’a plus de sens quand on perd l’autonomie, la capacité de décision, la mobilité. Notre regard sur ces personnes changent. Bien sûr c’est difficile, bien sûr c’est douloureux, mais est-ce que l’on ne court pas toujours vers un idéal de vie où l’on pourrait maitriser ses souffrances ? ses angoisses ? Où l’on pourrait décider de tout arrêter quand on estime que c’est assez ?
Je vous laisse méditer sur ces questions qui j’espère peuvent faire débat autour de vous. N’hésitez pas à laisser un commentaire pour dire ce que vous en pensez…. Je vous donne RDV pour le cinquième article (et avant-dernier) la semaine prochaine.
Sources bibliographique :
- http://www.assemblee-nationale.fr
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http://www.senat.fr
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http://www.senat.fr/dossier-legislatif
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http://www.alzheimer-europe.org
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https://www.echr.coe.int