La douleur, ma douleur, sa douleur
La lutte contre la douleur est au cœur des préoccupations des soignants, des textes qui règlementent l’accès aux soins, des droits des personnes hospitalisées, au cœur des chartes de l’enfant ou de l’adulte hospitalisé, et pourtant, pourtant, elle est souvent mal prise en charge.
Pourquoi ?
Essentiellement par manque de connaissances, manque de formation initiale. Aussi bien en faculté de médecine qu’en institut de formation infirmier ou autre profession paramédicale, le temps d’enseignement est soit trop court, soit incomplet.
Je vais vous parler ici de la douleur aigüe, la douleur induite par les soins, celle que l’on vit quand on est hospitalisé, opéré, accidenté par exemple. Elle est à différencier de la douleur chronique qui elle perd sa ‘finalité’ de signal d’alarme et devient une maladie en tant que telle qu’elle que soit son origine.
La douleur chronique se définit comme :
Persistance ou récurrence, qui dure au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée, notamment si la douleur évolue depuis plus de 3 mois ; réponse insuffisante au traitement ;
Détérioration significative et progressive du fait de la douleur, des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités de la vie journalière, au domicile comme à l’école ou au travail.
Pour approfondir je vous invite à visiter le site de la SFETD (Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur) dont est issue les définitions ci-dessus.
Parlons donc de la douleur aigüe.
Ce que l’on observe dans une prise en charge peu optimum, peut se classer en plusieurs problématiques :
- Défaut d’évaluation de la douleur
- Mauvaise utilisation des molécules
- Méconnaissance des mécanismes de la douleur
Comment imaginer qu’une personne qui souffre, va pouvoir devenir acteur de ses soins ?
Comment penser qu’une personne dans son lit qui est perclue de douleurs va pouvoir communiquer, s’ouvrir et poser des questions sur ce qui lui arrive ?
La douleur c’est le symptôme qui angoisse le plus. Au delà de vivre une sensation particulièrement désagréable, lorsque vous posez la question aux personnes de votre entourage, voilà le type de réponses que vous avez :
- Faites ce que vous avez à faire docteur, tant qu’il ne souffre pas
- Je ne veux pas mourir dans des souffrances insupportables
- C’est impossible de finir sa vie en subissant des douleurs 24h/24
- A l’hôpital je ne veux pas y aller, j’ai peur d’avoir mal
- J’ai peur que cela me fasse mal
- J’ai tellement eu mal pendant tel ou tel examen
Bref, la peur ou l’expérience de la douleur est omniprésente.
Pourquoi ?
Et bien parce qu’elle est encore mal prise en charge, mal anticipée, mal évaluée. Nous allons voir dans cet article comment nous pouvons en tant que soignant, optimiser la prise en compte de ces douleurs, et permettre aux patients de se sentir écoutés, compris et pris en charge.
LE MECANISME :
J’aime beaucoup la définition de la douleur de l’ IASP (International association of Study pain) :
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, pouvant être en lien ou non avec une lésion sous-jacente.
IASP
Je l’aime car elle ne parle pas de douleur physique uniquement. Elle parle de quelque chose de désagréable, de sensations et d’émotions. Et c’est bien là que réside la complexité de la douleur, dans le fait qu’elle est plurifactorielle. Nous avons trop souvent tendance à réduire la douleur à un problème physique ou une sensation corporelle qui s’exprime dans la chair. Hors la douleur peut être aussi en lien avec la sphère émotionnelle, affective, ou encore avec des expériences douloureuses que l’on gardent en mémoire.
Pour comprendre je vous ai dessiné un petit schéma :
Du coup, quand un patient dit qu’il a mal, et bien on le croit et c’est tout.
PERSONNE d’autre que lui ne peut dire ce qui se passe dans son corps. Ni un médecin, ni un infirmier, ni un aide-soignant, personne à part lui. Donc un malade qui dit qu’il a mal, et bien on ne remet JAMAIS en doute ce qu’il exprime. Grâce à ce schéma vous comprenez pourquoi. Parce que justement il peut parler d’une douleur physique, mais aussi d’une douleur émotionnelle, spirituelle, affective, psychique, tout cela est imbriqué l’un dans l’autre et vient agir sur l’intensité du vécu de la douleur.
Quand on comprend cela, on ne doit plus entendre : « Il dit qu’il a très mal mais il va fumer une cigarette …. Il dit qu’il a mal à 8/10, mais moi j’ai souvent des patients qui ont mal à 8 et ils ne sont pas comme ça «
Ayons l’humilité de croire que celui qui peut le mieux parler de sa douleur et celui qui la vit.
Donc quand on ne croit plus ou pas un patient qui se plaint de douleurs, la seule chose que l’on doit faire c’est recommencer une évaluation.
Car vous l’aurez compris, la réponse à cette douleur sera peut-être d’ordre antalgique, mais peut être aussi anxiolytique, de l’ordre du soutien psychique, de la présence.
Une réponse plurifactorielle à une demande plurifactorielle.
Cela permet d’entendre la demande de l’autre. C’est dans la reconnaissance de la demande en tant que telle que l’autre se sent en confiance car il se sent écouté. Dénier ce que l’autre vit c’est la destruction de la relation de confiance.
L’ÉVALUATION
Le second point de la prise en charge de la douleur, c’est son évaluation. L’évaluation permet au patient de donner une intensité à ce qu’il vit à l’intérieur de ses chairs. Il essaie de donner une information aux soignants pour que ces derniers puissent l’aider dans le soulagement.
Il y a l‘auto-évaluation, où le patient est LE SEUL à évaluer sa douleur et l’hétéro-évaluation où le soignant va apporter son interprétation aux signes douloureux.
L’auto-évaluation :
Trois échelles validées qui sont des outils pertinents.
EVS : Echelle verbale simple. C’est une échelle orale avec 5 items :
- 0 : oui/non (si pas de douleur EVS = 0/5)
- 1 : un peu
- 2 : moyen
- 3 : fort
- 4 : insupportable
Cette échelle doit être présentée en ces termes au patient. Celui-ci répond le chiffre qui lui convient.
EN : Echelle numérique
Sachant que 0 = pas de douleur et 10 = douleur insupportable, quelle note donneriez-vous à votre douleur ?
EVA : Echelle visuelle analogique
Très utilisée en post-opératoire, elle s’adapte aussi à d’autres situations de soins. Ce qui est intéressant dans cette évaluation, ce n’est pas le chiffre en lui-même mais la façon dont ce chiffre va bouger au cours des 24h. Il est donc intéressant de la répéter au moins 3 fois.
La face chiffrée est vers le soignant, la face non chiffrée vers le patient. Il faut lui demander où il place le curseur entre le début qui correspond à aucune douleur et la fin qui correspond à une douleur inimaginable.
ATTENTION : Ce qui est côté là, ce n’est pas la douleur mais le vécu de la douleur, la façon dont le patient la vit. C’est une indication pour les soignants. Une plainte s’adresse à quelqu’un, sinon c’est une lamentation. Donc la plainte vient forcément dans le cadre d’une relation à l’autre. On ne dit pas la même chose selon à qui on s’adresse, un médecin, une infirmière, une aide-soignante, un bénévole, une ASH. C’est pour cette raison que la douleur doit être évaluée par plusieurs personnes et que les soignants doivent se faire confiance quand le patient ne dit pas la même chose. Ce n’est pas parce qu’il ment ou qu’il manipule, c’est parce que la plainte dépend aussi de la relation que l’on entretient avec le soignant à ce moment là, et la relation de confiance qui est établie.
Le cercle vicieux dans la douleur, c’est plus on a mal, plus la mémoire de la douleur se renforce et plus la perception est forte.
L’hétéro-évaluation :
Cette évaluation va passer par l’observation du corps, des positions du corps de l’autre, de ses mimiques, de ses grimaces, de ses changements d’attitudes ou de son comportement.
ATTENTION: Moins on bouge, moins on a mal. Ce qui veut dire qu’un patient qui ne bouge plus, qui ne s’exprime pas, n’est pas un patient calme et sans douleur, mais peut être une personne qui est tellement douloureuse qu’elle se coupe du monde extérieur. Nous avons souvent des représentations très préconçues de l’expression de la douleur. Ce que je veux dire c’est que souvent nous avons tendance à penser qu’une personne douloureuse va forcément crier, pleurer, se plaindre etc… Mais pas toujours. Donc soyons attentifs à ceux qui se coupent du monde qui les entoure car la douleur ne leur permet plus de rentrer en contact. On l’observe très bien chez les enfants.
Donc ces échelles vont faire appel à la subjectivité des soignants.
L’algoplus :
Validée en 2007, l’échelle ALGOPLUS est venue combler une lacune : comment évaluer en moins d’une minute la douleur aigüe chez la personne âgée ayant des troubles de la communication verbale
Peu de critères. Elle a l’avantage d’être rapide à faire. Mais attention à l’interprétation. Il est préférable d’être 2 au lit du patient pour la réaliser, afin de confronter les points de vues. A partir de 1/5, le patient est considéré comme douloureux. Cette échelle est une échelle diagnostic. C’est une présomption de la douleur. Même si elle a été testée et validée pour évaluer la douleur aiguë chez la personne âgée non communicante, elle s’utilise aujourd’hui chez des personnes qui n’ont plus la capacité d’exprimer verbalement leur douleur.
La doloplus :
Permet l’évaluation de la douleur chronique chez la personne âgée ayant des troubles de la communication verbale. Créée en 1992, validée en 1999, DOLOPLUS a été le premier outil reconnu sur le plan international.
Cette échelle est plus longue à réaliser. Elle prend en moyenne 2 minutes 30. En revanche, elle est plus précise et permet d’affiner les critères principaux que l’on retrouve dans l’algoplus.
Une note à 5/30 on considère le patient comme douloureux.
Peu importe l’échelle que l’on utilise, il est important qu’elle soit réalisée 3 fois par jour. La douleur a un retentissement sur :
- L’appétit
- Le sommeil (très important car le système nerveux a besoin de se reposer)
- Aucun intérêt pour soi pour les autres
- Émotion, humeur, irritabilité
- Activité, mobilité
Il apparaît donc indispensable de prendre en compte correctement ce que le patient nous dit lorsqu’il exprime sa douleur. Ne pas l’entendre ou mal considérer ce qu’il ressent est un obstacle majeur à l’instauration d’une relation de confiance. Au delà de ne pas soulager l’autre, c’est toute une relation qui est mise à mal dans le soin et qui ne peut aboutir que sur une issue négative. Soit la famille, soit le patient va finir par être excédé de ce que vit le malade.
Même si la médecine est impuissante sur certaines douleurs, il faut quand même pouvoir l’entendre.
En résumé :
- On évalue un vécu et non une douleur
- Un malade qui dit qu’il a mal, il a mal
- La réponse n’est pas toujours antalgique, Elle peut être anxiolytique
Il y a 4 questions à se poser lorsque quelqu’un nous dit qu’il a mal :
- Où ?
- Quand ? Continue, pendant les mobilisations, avec des pics
- Comment ? Pince, pique, mord, décharge électrique, brule, coup de poignard
- Combien ? Intensité
Lorsque le soignant commence à douter de ce que le patient exprime sur sa douleur, lorsque qu’il commence à se dire «est-ce qu’il a vraiment mal comme il le dit ? », alors c’est qu’il est temps de recommencer une évaluation de la douleur. J’attire votre attention sur les douleurs dites «psychosomatique ». Nous avons pu voir qu’une douleur est toujours liée à un vécu, à une mémoire, et que donc la part affective, émotionnelle est toujours présente dans le vécu de la douleur.
Pour conclure :
Une douleur psychique, c’est une douleur de l’âme, c’est comme une douleur physique
Une douleur psychogène c’est une douleur dont l’origine déclencheur est le trouble psychiatrique
Vous comprenez donc que la douleur psychosomatique ne veut rien dire et qu’elle ne doit pas servir d’outil pour classer les douleurs que l’on ne comprend pas.
Voilà, j’espère que cet article vous permettra d’aider les patients que vous rencontrez à mieux vous décrire ce qu’ils vivent et que vous vous sentirez peut-être mieux armés pour écouter leurs plaintes. Si des personnes qui sont, ou ont été malades, lisent cet article, j’espère que vous comprenez l’importance de verbaliser votre douleur, encore et encore, jusqu’à ce que l’on vous entende (dans le cadre de la douleur aiguë). Ce n’est pas normal d’avoir mal, ce n’est pas une fatalité. Trop de personnes pensent encore qu’être malades ou hospitalisés veut dire que l’on va avoir mal et que c’est normal. NON, la médecine aujourd’hui a les moyens de soulager vos douleurs et elle se doit même de le faire. Les douleurs ne sont pas à subir, même quand nous devons bénéficier de soins.
AVOIR MAL, CE N’EST PAS NORMAL
Cynthia M
Vidéo de la chaine Youtube du blog qui illustre cet article 🙂
8 Comments
Bonjour, je suis infirmière diplômée du DESU douleur dans un centre de rééducation et je voudrai sensibilisé l’ensemble du personnel soignant sur le ressenti de la douleur des soignant des patients hospitalisés soit sous forme de questionnaire simple avec des questions fermées , un quizz ou alors avec une vidéo ? pouvez-vous m’aider svp ?
MERCI ++
Bonjour, Je ne comprends pas très bien la phrase : « sur le ressenti de la douleur des soignant des patients hospitalisés … » De quelle aide as-tu besoin ?
Merci Cylie, cela me conforte dans ma façon d’écouter le patient et de répondre à sa demande. Ça me fait beaucoup de bien de te lire. J’ai tellement l’impression de ramer à contre courant avec certains collègues. Je travaille en psychiatrie. La douleur morale et physique sont exprimées tous les jours.
Certains de nos collègues voudraient nous formater dans l’esprit : c’est pas vrai, il nous manipule, il le fait exprès….il faut qu’il sorte d’hospit….. Chaque personne pour moi doit être prise en compte même si sa pathologie ne plait pas au soignant, sans le juger, le prendre tel qu’il est dans l’instant présent….
Même si j’essaie de prendre du recul, je ne peux pas tout accepter de mes collègues qui voudraient me faire penser et agir comme eux-mêmes..
C’est un peu une lutte perpétuelle quand-même. Ne pas se laisser formater par l’ambiance environnante.
Merci pour tes écrits, ton blog.
Belle journée.
Chantal
Merci pour ton message et continue…. garde le cap et crois en toi. Ils finiront par se rallier …. doucement en t’observant. Partage tes idées et mon blog avec des collègues qui comme tout et moi pense la même chose.
Je t’embrasse fort
Je redécouvre cet article et ta vidéo suite à ton post de ce matin. Je l’avais oublié.
Il y’a quelques années je me suis fait opérée du canal carpien avec une anesthésie locale, et la douleur s’est réveillée vers 12h. Je sonne , une personne vient et je lui ai demandé de dire à l’iDE que je commence à avoir mal. 1/2h après , l’IDE vient et me dit que ce n’est pas normal que j ai mal parce que « le bloc n’est pas levé » et elle sort. Et la j’etais en colère pour 2 choses: elle ne m’ a pas écouté , et elle me parle avec un langage sans explication , et je rejoins ton post sur le vocabulaire des soignants!!! Heureusement que je suis infirmière et je ne lui ai pas dit que je l’etais.( je n’annonce jamais mon métier quand je suis à l’hôpital). Et avec tout ça , j’ ai rien eu comme antalgique. Au bout d’un certain temps , je resonne et on m’ a dit que c’était l’heure des transmissions et il fallait que j’attende????????. Et tu sais ce que j’ai fait, j’ai toujours du paracétamol dans mon sac, je me suis levée et je l’ai pris . Bien , pas bien je ne sais pas mais je l’ai fait sous le coup de la colère.
Vers 14h30, une autre IDE vient pour son 1er tour de l’après Midi et m’a demandé si j’avais mal et je lui ai tout dit. Elle était gênée . Et à partir de ce jour là, je me suis dit, j essaierai , mieux , j’éviterai de faire subir ça à tous les patients et que je vais être attentive à leur douleur même si on a tendance à toujours dire que le chiffre ne correspond pas au faciès . La douleur est subjective et on n’a pas à se mettre à la place de l’autre pour dire si c’est normal ou pas.
Je suis désolée de ce que tu as vécu, qui malheureusement arrive encore trop souvent. Je te remercie de ton témoignage qui vient éclairer par un fait réel ce que j’essaie de transmettre. Je t’embrasse
J’ai l’impression, mais ça ne tient qu’à moi, que le combat de la douleur se situe bien avant les cours pour les soignants. Nombres de patients consultent parce qu’ils ont mal mais peu sont ceux qui ont pris un traitement et il y en a même qui ne prendront pas le ttt proposé. Ils veulent savoir quand la douleur s’arrête, si elle s’intensifie, si elle diminue: sous entendue: est ce que je vais mieux, moins bien… peut être une impression de « maîtrise de soi ». La douleur (aiguë) c’est un peu notre jauge de carburant, la supprimer peut paraître flippant?!
Je ne sais jamais si je dois lutter contre la fierté de l’homme ou la femme qui se gratifie d’être résistant à la douleur. Beaucoup de gens consulte après plusieurs jours de douleurs avec une impression d’échec: je n’en peux plus, j’ai essayé de lutter…
Face à la douleur, l’orgueil de l’homme est mis à mal. Il se joue quelque chose que les médicaments ne peuvent traiter que de manière superficielle.
Tu décris très bien le côté plurifactorielle de la douleur dans ton article.
Il se joue tellement de chose autour de la douleur, c’est passionnant… enfin l’humain est passionnant et sa douleur permet d’en apprivoiser sa complexité.
Merci pour ton article, tu as du y passer des heures…
Merci Esther pour ton retour. C’est vrai que cette douleur joue parfois un « rôle » qui va au delà de l’alerte ! Comment je la vis, comment je la gère, qu’est-ce qu’elle représente ? Face à la douleur, l’orgueil de l’homme est mis à mal. Il se joue quelque chose que les médicaments ne peuvent traiter que de manière superficielle.
Cela nous montre combien elle est un symptôme complexe et finalement si peu connu.