Elle a 40 ans, 5 enfants et depuis 6 mois, elle vit avec un crabe au creux de son ventre. Les docteurs lui ont diagnostiqué un cancer des ovaires, avec des métastases. Le pronostic est sombre. Un traitement par chimiothérapie lui est prescrit pour ralentir la progression, mais pas de guérison possible.
Cela lui a été clairement expliqué. Elle l’a entendu. Seule avec ses 6 enfants âgées de 23 à 8 ans, elle rentre chez elle et reprend sa vie comme si de rien n’était. Elle continue à s’occuper de sa tribu, à mettre dehors son dernier mec alcoolique qui vient lui demander de l’argent.
Elle a besoin de personne Nathalie, elle va s’en sortir. Et ces médecins qui veulent l’obliger à aller faire de la chimio, de la radiothérapie. Ils ne connaissent pas sa vie. Entre l’école, les petits, le ménage, les repas, elle a pas le temps d’aller passer ses journées à l’hôpital. Elle verra après. Pour l’instant ce n’est pas possible, les enfants n’ont qu’elle.
Cette fois encore elle a du rentrer en urgence à l’hôpital. La fièvre était trop forte, et les douleurs aussi. Elles sont devenues insupportables. la nuit, seule dans son lit elle résiste, souffre, pleure parfois. Mais là c’est trop fort.
Le médecin lui a dit qu’elle avait failli aller en réanimation, qu’il avait eu très peur pour elle. Elle a un gros tuyau dans les vaisseaux du coup, une sonde urinaire, et elle se sent faible.
Sa soeur vient la voir souvent. C’est elle qui s’occupe des enfants. Aujourd’hui elle a eu des nouvelles de sa fille ainée qui est partie de la maison suite à une dispute à cause de sa grossesse. Elle ne va pas bien. Elle a fui le domicile de son copain car il la frappait trop fort. Où est le bébé ?
Elle doit sortir. Elle doit s’occuper d’elle. Retrouver son petit fils, lui demander pardon. Elle demande au docteur de sortir. Il lui dit non, trop tôt. Comment ça trop tôt ? Mais si c’est comme ça elle s’arrache tout et elle sort. Il croit quoi ? Qu’il va l’empêcher d’aller s’occuper de ses enfants.
Nathalie ne vit pas les mêmes priorités que le médecin. Elle est mère de famille et élève seule ses enfants. Elle n’a pas le temps d’être malade.
Elle va sortir 24h après grâce à l’aide d’une équipe mobile de soins palliatifs qui va tout faire pour mettre l’hospitalisation à domicile en place. Ses infirmières libérales sont les seules qui peuvent rentrer chez elles. Très superstitieuse, elle ne fait rentrer personne. De toute façon elle est tellement jugée sur la manière dont elle élève ses enfants, dont elle vit, qu’elle ne veut personne. Son docteur a bien essayé de lui « filer » un lit médicalisé mais elle l’a fait démonter par les voisins et il est en tas dans une pièce de la maison.
Telle une louve apeurée qui veut protéger sa portée, les soignants devront faire preuve de patience pour l’apprivoiser. Elle dormira d’abord dans son fauteuil au milieu du salon.
Puis son état va s’aggraver très vite et ils vont réussir à faire ramener un nouveau lit pour qu’elle soit mieux installée. Toujours au milieu du salon, les soignants du domicile vont jongler avec les disputes de la fratrie, les angoisses des uns et les peurs des autres.
Avant de sombrer, Nathalie réussira à signer le papier qui donne la garde de ses enfants mineurs à son frère et sa soeur. Grâce aux libéraux qui jour après jour viendront la soulager, la soigner, en enjambant les corps des enfants dormant sur les matelas à même le sol, autour de leur maman, ils vont respecter, sans jamais la juger, sa tribu, son nid, sa famille.
Elle s’éteindra 10 jours après sa sortie, au milieu de ses enfants, ayant assurer dans un dernier souffle, un foyer pour ses louveteaux.
C’est parce que le jugement n’aura jamais eu sa place, ni gain de cause, que l’accompagnement de cette femme a pu se faire, en respectant son intégrité, ses choix et ce qu’elle était.
Cynthia
Défi N°2, article 16/30