Elle s’en occupe depuis sa naissance, normal, c’est sa fille. Elle la connait par cœur. Même si elle n’a jamais parlé, même si elle est différente, même si elle ne marche pas. Elle est gravement handicapée mais elle est là.
Un manque d’oxygène à la naissance, elle est restée bloquée trop longtemps dans son ventre, le cordon autour du cou, avant de sortir à la lumière. Dès le premier jour elle l’a aimée, choyée, portée. Elle l’a vue grandir, ne l’a jamais exclue des projets familiaux.
Il y a tellement d’amour qu’elle ne va jamais à l’hôpital, jamais dans un centre. Toujours à la maison avec maman, papa et ses sœurs.
Mais aujourd’hui elle respire mal, elle a de la fièvre. Le docteur explique que c’est plus grave que d’habitude, qu’il faut aller à l’hôpital.
Elle ne veut pas l’emmener à l’hôpital. Là-bas ils ne la connaissent pas, elle va se stresser de ne pas être à la maison. C’est dur l’hôpital. Mais elle va de plus en plus mal. Il faut le faire. L’ambulance arrive et la transporte aux urgences. Le bruit, les va et vient, les alarmes, les étrangers, les piqûres, Anna est terrifiée. Sa mère tente de la rassurer mais elle voit bien qu’Anna s’angoisse. Elle respire de plus en plus mal. La radiographie est compliquée, Anna a le buste tellement tordu.
Elle a une infection pulmonaire grave, il faut mettre des antibiotiques par les veines et la garder quelques jours en surveillance. D’accord, elle va rester jour et nuit auprès d’Anna. Elle a 32 ans mais c’est toujours un bébé.
Anna ne s’améliore pas. Les docteurs sont inquiets. Les antibiotiques ne marchent pas. Elle est persuadée qu’elle va s’en sortir. Elle ne peut pas partir maintenant. Elle ne comprend pas très bien mais les docteurs parlent d’arrêt des antibiotiques, de soins de confort. Mais ils vont la tuer ! Vite, il faut sortir Anna de cet hôpital. Elle est en danger. A la maison, son docteur qui la connait depuis l’enfance saura quoi faire. Puis elle a confiance en lui.
Heureusement les docteurs de l’hôpital acceptent la sortie. Elle ne sait pas pourquoi il aura fallu deux grosses réunions pour décider la sortie mais OUF, ils ont dit oui. Ils avaient besoin de parler de choses comme : est-ce que l’on continue à lui donner son lait par la sonde ? Est-ce que l’on remet des antibiotiques si elle a encore de la température, est-ce que l’on peut baisser son oxygène pour qu’elle sorte… oui, oui, oui. C’est pas eux qui vivent avec elle.
Qu’est-ce qu’ils croient ces toubibs ? Qu’ils ont le droit de vie ou de mort sur ma fille ? Ils ne nous connaissent pas, ils ne sont pas avec nous depuis 32 ans. Personne d’ailleurs est avec nous, nous nous débrouillons tous seuls depuis sa naissance. Ils entrent dans nos vies comme ça un samedi et ils se permettent de dire ce qu’il faut faire ou pas faire, ce qui vaut la peine d’être vécu ou pas. Mais il n’y a que nous et Anna qui savons ce qui vaut la peine d’être vécu.
Le retour à la maison est difficile. Anna ne s’améliore pas. Le docteur est là. Son infirmière adorée est là. Nous sommes tous là. Maintenant nous ne sommes plus stressés, plus angoissés. Juste triste car nous savons qu’Anna va nous quitter. Nous le savons depuis le début mais ici, avec tous ceux que l’on connait, c’est mieux. C’est notre réalité…
Cynthia
Défi N°2, article 5/30
2 Comments
Un article touchant de vérités. Il est vrai que nous soignant on laisse involontairement peu de place aux familles pensant souvent bien faire.
C’est important de le réaliser … Merci Gaëlle