Mes mains glissent sur son dos enduit d’huile. J’aime ce temps de toucher massage où je suis acceptée en pleine intimité. Je ne connais pas cette dame et pourtant mes doigts glissent sur sa peau douce et fragile. Je sens ses os, je perçois sa maigreur, je devine sa détresse. Qu’est-ce qui coule dans les veines d’une dame de 50 ans qui est condamnée par une maladie incurable ?
L’énergie de mes jeunes années vient nourrir la faiblesse de ce corps qui se bat contre la maladie.
Elle a les yeux fermés, elle profite et moi je donne … je reçois. Je reçois sa confiance, je reçois la communion entre deux femmes, je reçois la vie et l’histoire de cette dame au travers de sa peau, je reçois ce que je suis venue cherchée lorsque j’ai épousé ce métier il y a 17 ans.
Je perçois toute la beauté de mon métier d’être au plus près de ceux qui sont vulnérables.
Je suis fière d’appartenir à cette famille qui crie et se bat aujourd’hui pour sauver une dignité, une humanité.
Parce que oui une société peut être définie comme humaine à la façon dont elle s’occupe des plus vulnérables. Je pense que notre France aujourd’hui préfère se montrer forte et maintenir sous l’eau l’image des visages qui lui ferait honte, plutôt que d’afficher une volonté de s’occuper de ceux qui ont besoin, de ceux qui n’ont plus la force de demander, les faibles, ce qui coûtent à la société.
Comme beaucoup de mes pairs j’ai entendu notre représente au plus haut niveau s’exprimer sur une radio française. Comme beaucoup j’ai entendu une dame dire que le choix pris par certains de ne pas venir travailler n’était pas bien. J’ai entendu une pointe d’agacement et de dédain face à une communauté faisant un caprice juvénile, sans se soucier des conséquences de ce choix. Un peu comme des ados pré pubères n’ayant que pour seul intérêt leur égo et leur bien-être.
J’ai senti le choix de culpabiliser les soignants qui avaient fait ce choix. Culpabilité qu’ils pourraient ressentir pour avoir détourné les fonctions d’un arrêt maladie ou pour avoir dégrader les conditions d’accueil ou de prise en charge des patients. Pensez-vous que cela soit productif et constructif ?
Le sentiment que j’ai et qui m’appartient, c’est que vous me donnez la sensation de vous adresser à une population d’ignorants capricieux, incapable de patienter les années qu’il faut encore patienter, pour obtenir une soi-disant amélioration des conditions d’accueils aux urgences. Sentiment que vous êtes en capacité de prendre du recul et d’analyser, et que vous savez ce qu’il y a de mieux pour nous alors que vous n’êtes pas nous.
On apprend aujourd’hui que celui qui sait ce qui est bon pour lui c’est celui qui le vit. Que l’autre en face s’il veut répondre au plus juste, se doit d’écouter les besoins que l’autre exprime et non imaginer les besoins et les solutions qui vont avec.
Au-delà des urgences, tout le circuit en aval est saturé. Votre soi-disant virage ambulatoire ne tient pas la route. Les libéraux ne peuvent assurer ce que vous projetez de déployer sur la ville. Les services de chirurgie ambulatoire se transforment en usine à lait. À l’ouverture des portes, le troupeau de patients entre dans les boxes, subit les soins et ressort comme il est venu. Que vous soyez hommes, femmes, jeunes, vieux, angoissés, paniqués, les personnes sont traitées de la même façon. Comme si tous les êtres humains avaient besoin des mêmes choses au même moment.
Les patients sortent plus vite pour ne pas devenir des « bed blocker » terme horrible pour signifier un patient qui reste trop longtemps dans un lit. Du coup ils ressortent mal encadrés, et sont ré hospitalisés une semaine plus tard. Les familles seules se débrouillent pour prendre en charge leur proche et assurer des soins que certains libéraux ne peuvent assurer faute d’avoir été prévenus trop tard ou de ne pas pouvoir prendre de nouveaux patients.
Mme la Minsitre, chacun fait son métier, mais sachez que je suis tellement fière de celui que je fais, que je pourrais me regarder dans une glace le jour où je me retournerai sur ma vie. J’aurai contribué à apporter réellement de la valeur à des dizaines de vies, à des dizaines de frères que j’aurai accompagnés humainement. J’aurai la fierté d’avoir contribué à l’humanité.
« La règle dans le milieu médical c’est que lorsque l’on fait grève on vient travailler avec un brassard pour ne pas mettre en danger la vie d’autrui ». Ce sont vos mots. Ne vous trompez pas. Les personnes qui mettent en danger la vie d’autrui aujourd’hui ce sont votre ministère et vos ARS. Pas les soignants, pas les docteurs. Eux ils sauvent les mises en danger que vous créez.
Je retourne apporter dignité et bienveillance à cette femme de 50 ans qui pourrait être vous chère Mme La Ministre.
Cynthia du blog confiance en soin