Elle a des tuyaux partout
Lorsque je croise son regard, je me concentre sur ses yeux. D’un noir intense elle me fixe et se demande certainement qui je suis ? Encore une blouse blanche qui vient lui faire des soins. C’est le défilé dans sa chambre. Nue sous son drap, la porte ouverte et la chambre vitrée, tout le monde la regarde en permanence. Pour l’intimité vous repasserez demain.
Elle ne peut pas parler, un tuyau lui obstrue la trachée. Elle est encore entubée à sa machine. Un gros tuyau. Mais elle en a plein. Plus je m’approche de son lit, plus je découvre les poches et les fils. Elle a une sonde dans le nez, une voie centrale dans le cou avec pleins de poches de perfusions et de seringue, elle a un gros cathéter relié à la machine de dialyse, elle a une poche de stomie, des rendons accrochés, une grosse cassette qui récupère le liquide de son VAC (mousse qui aspire les sécrétions des grosses plaies béantes), bref la liste semble ne plus s’arrêter….
Elle n’a plus de jambes, coupées au niveau des cuisses, son ventre n’est plus qu’un grand cratère…. Mais comment est-ce possible ? Comment la vie est-elle encore présenté derrière ces yeux noirs ?
Lorsque l’on échange quelques mots, elle est perdue, elle ne se rappelle plus très bien comment elle en est arrivée là. Les anesthésies générales, la sédation pour ses pansements, pour ses douleurs insupportables n’aident pas la mémoire.
C’est un miracle qu’elle soit en vie. Mais elle n’a pas l’air de vouloir se battre. Comment trouver la force me direz-vous ? Son corps aussi mutilé, ses douleurs, sa vie d’avant qui s’envole et ne reviendra jamais.
Pourtant elle est en vie, elle a deux enfants, petits et elle est en vie. Elle a été extraite du véhicule alors qu’elle était complément encastré dans le siège avant. A l’arrière elle s’est assoupie et n’a pu anticiper le choc. La ceinture lui a écrasé le thorax et arraché le ventre en faisant tourner sa colonne sur elle-même.
L’horreur…
Et comment les soignants mettent du sens dans cette prise en charge. Comment se battre à ses côtés, lui insuffler de la vie, de l’amour. Elle s’est endormie et se réveille avec un corps qui n’a plus rien d’humain, et des tuyaux partout. Combien de temps s’est-il passé 2, 3 semaines ? Quel jour nous sommes ?
Comment réussir à mettre sur le même champ de bataille la volonté des soignants qui se battent depuis des semaines pour la sortir de là et sa bataille à elle qu’elle n’a pas encore commencé. Il lui faut du temps, plein de temps, pour réaliser, emmagasiner, s’approprier, se projeter dans ce qui lui arrive.
Avoir seulement la vie sauve ne suffit pas a rallier le projet des médecins, c’est beaucoup plus complexe. La temporalité n’est la même. Les soignants sont loin devant, ils paraissent forts. L’attendront-ils ? Elle la tortue ?
Comme dirait une célèbre fable : Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Cynthia
Défi N°2, article 8/30