Soignants et patients, tous dans le même bateau

soignants et patients tous dans le même bateau
On dit souvent qu’être infirmier ou aide-soignant c’est difficile, c’est un métier non reconnu, mal payé, ingrat. On entend parfois qu’être médecin c’est avoir le beau rôle, mieux payé, meilleur avantage, meilleure reconnaissance sociale. 
Le médecin c’est celui qui va à l’école longtemps, celui qui sait, celui qui devrait tout savoir. 
Mais médecin, soignants et patients ne sont-ils pas tous dans le même bateau ? Qui a le beau rôle ou la meilleure place dans l’histoire ? Personne. Dites- moi qui pourrait se prononcer sur une place plus enviable qu’une autre ?
Comment les médecins et les soignants se protègent-ils de ce qu’ils voient, de ce qu’ils traversent ? Aujourd’hui j’ai eu la chance d’avoir une discussion à coeur ouvert avec des oncologues. Ces hommes et ces femmes qui ont pleinement conscience qu’ils entrent dans la vie des gens par la porte de la fracture. C’est eux qui annoncent que la coque est touchée, que le bateau va prendre l’eau et que l’on ne sait pas si on va pouvoir colmater la prise d’eau…
Les personnes comme vous et moi en pleine santé, ne savent que trop bien que ce moment peut être un point de non retour. Ce moment où vous entrez dans le cabinet d’un professionnel et où il vous annonce une nouvelle qui vient bouleverser votre vie, voire même qui vient vous laisser entrevoir votre propre mort.
Ces hommes et ces femmes qui, sans formation, vont au gré de leurs expériences, tester, inventer, choisir la posture la mieux adaptée, le mot le plus juste. Mais avant d’y arriver, il y aura des ratés, des loupés. Ces ratés et ces loupés malheureusement ce sera vous, moi, nous. Tout ceux qui auront eu à faire à un moment donné à quelqu’un qui aura essayé de faire de son mieux, avec ce qu’ils avaient.
Oui mais voilà, pour celui qui le vit, ça change tout. Quand c’est votre vie, votre corps, votre pronostic, vous n’avez aucune tolérance, l’autre n’a droit à aucune marge de manoeuvre. On ne joue pas avec la vie des gens. Mais comment pourraient-ils faire autrement ?
Cet oncologue a pu témoigner qu’avec l’expérience, il n’annonce plus de pronostic. C’est trop dur, trop violent. et puis parfois la vie est joueuse. Elle rajoute du temps là où on ne l’attend pas et d’autre fois elle soustraie le temps là où elle aurait dû continuer l’addition. Quand cette vie joue de nous, il est impossible de faire marche arrière. Comment un être, une famille peut-elle se reconstruire après les 3 semaines de délais passées ? Comment continuer à investir la vie lorsque la « dead line » est passée ?
Une autre oncologue, moins expérimentée, plus jeune, se confie :  » moi je ne m’attache pas aux patients, c’est trop dur sinon. Pour moi ce ne sont que des numéros, et cela me permet de tenir, de ne pas les ramener à la maison, de ne pas y penser le WE« . Impossible de porter un jugement sur cette confidence. C’est tellement vrai et tellement dur. Elle rajoute : »C’est ma façon à moi de me protéger, sinon je ne tiendrai pas« . Se blinder, agir par anticipation pour ne pas souffrit, pour tenir.
Oui mais c’est de gens d’ont t-elle parle.
Oui vous avez raison, elle prend le risque d’être moins humaine pour se préserver. Mais n’est-ce pas humain que d’essayer de préserver son propre équilibre psychique ?
L’expérience encore une fois nous permet d’apprendre à se faire confiance. Lâcher un peu du mou sur le bout qui nous rattache au patient. Trouver petit à petit un peu de confort dans l’incertitude. Se dire que même si le bateau change de cap brutalement, on sera attaché mais on ne tombera pas à la mer.
On a tous besoin au commencement d’être attaché tout près de la barre pour ne pas tomber, ne pas flancher, ne pas faillir à la mission de garder le cap même en pleine tempête. Et avec le temps on s’éloigne, on explore le bateau sur lequel on est embarqué, sur lequel nous sommes tous embarqués en tant qu’être humains, malades ou soignants. Nous apprenons petit à petit à nous éloigner de la barre, à naviguer à vue, à ne pas savoir. On apprend aussi qu’après une chute on se relève, toujours. Avec des séquelles parfois mais on se relève. Souvenez-vous qu’une chute n’est pas un échec, mais une expérience. Vous vous relèverez différemment la prochaine fois, vous apprenez à tomber, voir même à anticiper.
Alors comme un capitaine de bateau qui devient meilleur après des heures de navigation, un médecin devient meilleur après des heures de pratique. Il apprend à comprendre l’autre, l’apprivoiser, le consoler, en prendre soin.
Ce ne sont finalement pas des êtres supérieurs, au contraire, leur savoir les encombre et les met à une place très inconfortable. Celle de devoir choisir ce qu’il faut dire ou ne pas dire, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, comment il faudrait le dire ou le faire. Souvent le seul référentiel qu’ils ont c’est ce qu’ils aimeraient que l’on face pour eux s’ils étaient dans la même situation. Mais ils ne sont pas dans la même situation. alors c’est toujours un peu maladroit ….
La critique est facile, le savoir est subtil. Le savoir-être combiné au savoir-faire est un luxe. L’humain n’est pas infaillible, même avec des années d’études. 
Nous sommes souvent déçus lorsque nous attendons l’autre quelque part. Il n’est jamais comme il faut, toujours trop ou pas assez. Nous doutons parfois de l’intention de l’autre. Nous remettons en doute qu’il fait de son mieux avec ce qu’il a. 
Alors devenons leur guide. Ensemble imaginons que chacun puisse exprimer son besoin. Le patient, le soignant, le médecin… Restons une équipe, ensemble, embarqués sur le même navire, en proie à la même tempête, avec un même objectif : Garder le cap, arriver vivant, ne pas se faire mal, perdre personne en cour de route. Finalement, c’est bien au contact des malades que le soignant se bonifie. Quel maitre plus grand nous pourrions avoir que cet autre, le patient. 
 
Cynthia
 

 

Vous pouvez lire en complément cet article sur la souffrance des soignants

2 Comments

  • Merci Cylie pour ce bel article, dans le quel je me retrouve complètement: je suis à la fois psy (et j’ai travaillé en oncologie et participé à des annonces de diagnostics), et à la fois maman d’un jeune ado à qui on a annoncé un cancer très rare et agressif… et bien je peux témoigner qu’il n’y a pas de place confortable dans tout ça, ni pour le soigné ni pour le soignant, et qu’à chaque fois il s’agit d’une rencontre.

    • Cylie

      Merci Anne pour ce commentaire qui vient à la fois du soignant et de la famille du soigné. Je t’envoie plein d’énergies et d’ondes positives pour le combat que vous menez…

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