Les rencontres d’Alizée neztoile

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Service de Pédiatrie

Quand on me propose de le rencontrer, les soignants me forme et qu’il a frôlé la mort. Il s’est fait agresser à l’arme blanche, et il s’en est fallu de peu qu’il reste dans le chemin. Il est là parce que son corps se reconstruit, il est là parce que ce n’est pas son île, il est là parce que sa vie est un combat depuis le premier jour où il est né. Les soignants ont pensé que de rencontrer Alizée pour lui faire du bien. Ni une ni deux je prends mes clochettes et mes plumes, et je file. 

 Il aperçoit du bout du couloir, il est grand, il boite, il a d’immenses yeux noirs, il est très beau. Quand il me voit il est très surpris, surtout quand je lui dis que c’est lui que je viens voir. Avec une grande timidité et peut-être même une grande pudeur, il accepte que l’on se voit un moment. Il s’assoit sur le lit, un petit peu gêné, et je commence alors : 

  • Je m’appelle Alizée, je suis Assistante du moral de troupe et les soignants qui te connaissent bien m’ont dit que peut-être t’aurait besoin d’une assistante de moral ? 
  • Il sourit et me fait oui de la tête. 
  • Ah ils avaient raison. 
  • Comment tu t’appelles ? 
  • Roméo.
  • Et qu’est-ce qui t’arrive pour que tu sois ici sans ton moral ? 
  • Il sourit et me raconte….

Je plonge avec lui dans les méandres d’une vie ou l’étoile a oublié de se lever quand il est né. Je plonge dans une vie si loin de celle que vive les ados de 15 ans. Cette vie qui n’est qu’un combat permanent. 

Il est né sur une île où il n’y a pas grand chose pour survivre. La France a laissé cette île il y a presque 60 ans. Il a fuit pour survire, il a fuit pour s’en sortir. Il a quitté sa mère, elle même déjà abandonné par son mari et vivant dans une extrême pauvreté. Il est arrivé sur l’île jumelle, celle qui n’est pas abandonnée par la France. Il avance de maison en maison, de Tati en tonton, sans jamais se faire attraper car il n’a pas de papier. 

Il comprend vite que pour s’en sortir, c’est l’école qui le sauvera. Oui mais voilà pour aller à l’école, il faut échapper aux bandes, il faut échapper au quartier, il faut échapper à la extrême pauvreté et à la grande violence qui règne dans les rues. Il va donc pour une raison improbable frôlé la mort à l’âge de 13 ans. Il sera soigné sur place et s’en remettra. Il est très intelligent, il est aussi très philosophe ! Il me dit qu’il a décidé de ne pas suivre le chemin de la haine. Parce que ce chemin là l’entraînera dans les profondeurs noirs desquelles il ne reviendra jamais. Il décide alors d’oublier, pas de pardonner, mais de ne pas chercher à comprendre pourquoi, mais plutôt toujours regarder devant. Il se fera à nouveau agresser deux ans plus tard. Et c’est la raison pour laquelle elle me parle aujourd’hui. Cette fois, il est laissé pour mort sur le bord du chemin. Il se vide de son sang. Il a juste le temps d’interpellait un voisin pour demander d’appeler les secours avant de tomber dans le coma. Il me dit qu’il ne comprends pas, cela ne fait que 4 mois qu’il est là. Il vit seul, se débrouille seule pour manger, vivre et surtout il est premier de sa classe car il rêve de devenir Ébéniste. 

Quand il se réveille, il est en réanimation sur l’île de la Réunion. Il n’a rien vu ni de son transfert ni de sa prise en charge. Le premier rappel qui va passer c’est à sa mère. Et c’est dans les larmes qu’il me raconteras qui sera face à une mère affamé, qui crèvent de faim et qui lui demande avant même de savoir s’il va bien, de lui envoyer à manger. De voir sa maman comme ça lui crève le cœur. Il me raconte encore cette longue traversée de la rééducation. 

Chaque mot est ponctué d’une cicatrice qu’il me montre, il fait le tour de son corps comme ça en me montrant à chaque endroit, les traces de la lame. Mais les cicatrices en profondeur ne se voit pas et sont beaucoup plus violentes.

Il me montre des extraits de vidéos de violence de Mayotte, il m’a dit qu’il ne veut pas y retourner, il me dit qu’il a peur de mourir, que là-bas on attend et que la prochaine fois, on le rattrapera. Il a vu la mort en face il le sait. Il se demande qi la vie a une troisième chance pour lui. 

Je le laisse me raconter tout ça, j’accueille, plus il me parlait plus mes yeux et mon cœur s’ouvre pour l’accueillir pleinement. Je sent qu’il a besoin que tout ça sorte. Lorsqu’il a terminé, je lui offre une fleur que j’ai construite pendant qu’il parlait. Sur chaque pétale j’ai noté à chaque fois une phrase ou un mot qu’il a dit, et qui transpirer d’espoir, de force, et d’amour. Je lui offre ainsi une fleur à plusieurs pétales sur lesquels on peut voir inscrit : J’y arriverai, Je sais qu’un jour ma vie sera belle, je ne lâcherai pas, je ne tomberai pas dans la haine, je suis fort, je sais que je peux le faire ….

Il est touché de voir cette fleur, et il me dit qu’il ne savait pas qu’il avait dit tout ça. Je lui propose alors avec un petit peu de malice, si il est d’accord pour faire une expérience. Alors il me dit oui. Je le laisse installer confortablement sur le lit et je lui propose de l’emmener quelque part. Il ferme les yeux et se laisse guider par ma voix.

Je l’emmène alors dans un endroit sécure pour lui, un endroit refuge. Je lui propose d’nviter les personnes qui lui sont chères. Je le laisse profiter, je l’accompagne en musique. J’ancre cette expérience dans son corps. Cela dure plusieurs longues minutes. 

Quand il revient ici et maintenant, il me dit qu’il n’a pas cessé de se voir adulte. De s’imaginer grand avec sa femme, sa maison et son travail. Il me dit que ça lui fait un bien fou d’imaginer qu’un jour il aura sa vie à lui, qu’il sera heureux, et qu’il n’aura plus peur de personne. Il me semble qu’il a fait un voyage complètement incroyable dans le futur ! Mais c’est aussi ça la magie de Neztoiles, c’est de ne pas toujours maîtriser sa poussière de fée.

Alors je sors une carte d‘Alizée pour lui écrire quelques mots et lui offrir avant de partir.  Et puis nous échangeons sur la confiance que l’on peut donner et avoir l’autre. Il n’ose pas demander de l’aide, parce qu’il a peur. Mais qui n’aurait pas peur dans cette situation ! Alors que nous sortons de la chambre tous les deux et que nous marchons dans le couloir, il me pose plein de questions comme si je pouvais lui apporter toutes les réponses possibles ! Mais ce qui me frappe le plus, c’est que comme il est né seul, qu’il a grandi seul, et qu’il se débrouille seul, et ne vois pas comment il pourrait s’appuyer sur quelqu’un. Alors je vais lui proposer quelque chose de complètement fou que seul Alizée peux proposer. Je vais lui demander, quelle est la différence entre un jeune dans la rue et un jeune à l’hôpital ?

Il me regarde avec de grands yeux !!! Je ris et je lui dis : 

  • Oui, quelles st la différence entre toi dans ton quartier, dans ton école et toi ici ? 

Fil en aiguille, il en arrive à me dire qu’ici il n’est pas seul, qu’on s’occupe de lui. Alors je lui dis :

  • Et si ces coups qui t’avaient emmené jusqu’à l’hôpital n’étaient pas en fait un coup de pouce de la vie pour te mettre au milieu de personnes qui ont les moyens de t’aider ? 

Alors là il me dit qu’il n’avait jamais vu les choses comme ça ! Et du coup on fait le tour des personnes qui pourrait l’aider : les docteurs, l’assistante sociale, les soignants. Mais son problème c’est qu’il est timide …. 

Alors je lui dis qu’il peut faire des phrases de timide. Demander de l’aide en étant timide c’est possible. 

Il me dit qu’il va y réfléchir. 

Il me remercie longuement, m’offre des regards fous dans lesquels Alizée se perd complètement. On se donne RDV une prochaine. 

Les soignants me diront plus tard qu’il a collé mes mots (ses mots) dans son cahier d’école, et que ma carte ne le quitte plus. 

Je le retrouve 2 semaine plus tard. Je le trouve changé, il me dit : J’ai envie de rentrer ! J’ai peur mais j’ai envie. Et puis j’ai commencé à parler autour de moi pour demander de l’aide. 

Je dis qu’ile st vraiment un guerrier merveilleux ! 

Nous passons un moment ensemble où il me raconte ce qu’il a vécu ces derniers jours. 

Comme nous prenons conscience que l’on se voit peut-être pour la dernière fois, je lui propose de penser une phrase ressource, une phrase qui pourrait l’accompagner dans tout ce qu’il va entreprendre dans les semaines à venir :

« J’y arriverai, je ne lâche rien »

Alors je l’écris sur une immense feuille que je scotche au dessus de son lit. Puis je prend mon stylo et lui écrit un petit mot dans un coin. 

Je lui dit : 

  • Voilà, maintenant n’importe qui, soignants, docteurs, amis peuvent t’écrire un petit mot sur cette feuille. Quand tu pars, tu la décroche et tu l’emportes avec toi. Comme ça tu pourras la relire quand tu en auras besoin. 
  • Trop cool !! C’est une super idée. 
  • Et puis tu sais, moi je ne serai jamais loin. Dans le coeur comme dans la tête, la distance n’existe pas. Je resterai près de toi. 
  • Je n’oublierai pas. 

On s’est quitté en sachant que ni lui ni moi nous nous reverrons la prochaine fois. 

Que les Alizés t’emportent Roméo ! 

Alizée Septembre 2021

Service de Neurologie

Chloé a 34 ans, on se connaît déjà. On s’est rencontré il y a trois mois. Ça a été un coup de foudre. Chloe a une sclérose latérale amyotrophie. C’est-à-dire que son corps la lâche tout doucement. Petit à petit les muscles arrêtent de fonctionner, ils ne répondent plus à la commande. Aujourd’hui elle arrive encore un petit peu à marcher, à boire et à manger, à fumer une clope, bref avoir encore un petit peu d’autonomie.

Elle sait que progressivement la maladie va tout lui prendre, jusqu’à sa respiration, jusqu’à son dernier souffle. Alors elle profite de chaque instant, de chaque minute de cette vie. Le bonheur d’être maman d’un trésor de 11 ans l’aide énormément. Son amoureux s’occupe aussi beaucoup d’elle. Ce n’est pas toujours facile avec sa famille, mais elle accepte que le cheminement soit différent pour chacun.

En fait elle est comme ça Chloe, non seulement elle est déjà dans la résiliance, mais en plus elle comprend que ceux qui sont proches d’elle puissent ne pas l’être. Elle ne dit pas que c’est facile, mais elle le respecte. En fait Chloe c’est un peu une princesse de la vie. Elle a déjà compris que d’être connectée à sa joie, c’est ce qui lui permettra de vivre ce temps qui lui reste à vivre. Plutôt que de se focaliser sur ce qu’il n’est plus, elle embellit ce qui est.

Quand elle me retrouve, on échange sur tout ce qui s’est passé depuis ces trois derniers mois. On échange donc des moments de vie, avec des hauts et des bats comme tout le monde. C’est important d’avoir une discussion comme tout le monde. Une discussion où l’on parle des choses que vivent tout le monde, les malades et les non malades, les vivants et les personnes en sursis.

Puis elle me témoigne que le plus difficile pour elle c’est de ne pas se laisser envahir par la lourdeur des choses à faire au quotidien. Les dossiers, les papiers, justifier, toujours devoir prouver que l’on est malade, que l’on ne peut plus, qu’il faut un fauteuil électrique, toute cette lourdeur administrative qui pollue son présent et qui l’ empêche parfois de profiter des instants.

Je décide alors de lui proposer un voyage, un voyage intérieur pour pouvoir aller revisiter ses espaces de légèreté. En étant dans ces espaces de joie et de légèreté, elle peut oublier la lourdeur. Alors elle s’installe confortablement sur le dos et je commence à la plonger dans un voyage profond. A un moment donné elle éclate de rire et elle me dit : 

« je peux pas continuer parce que j’ai l’impression que mes poumons qui se détendent, s’écrasent au fond de moi et du coup ça m’étouffe je peux plus respirer »

« Ah ben oui alors si tes poumons s’écrasent faut changer de position ! C’est pas trop une expérience de joie ça !! »

Elle s’installe donc sur le côté. 

Nous voilà reparti en musique dans un plongeon au coeur des profondeurs de ses joies. Je l’invite à revisiter les plus beaux moments de sa vie, les plus belles rencontres, les rires, les paysages, les musiques qui rendent plus grand, les textes qui font pleurer, les nuits d’amour et les premiers regards…

Et elle se laisse traverser parfois par des rires et parfois par des larmes.

Quand elle revient de ce voyage, parce que c’est aussi important de revenir dans le présent ! Elle me dit :

« Qu’est-ce que ça fait du bien de se rappeler de ce qu’il y a d’important dans la vie. »

Elle continue : 

« Je traverse des émotions contraires mais c’est pas grave. Je pleure, je ris. C’est la nostalgie qui fait ça »

Moi : 

« Pourquoi la nostalgie ? Ces moments ne sont pas finis, ils continuent d’exister à l’intérieur de toi et font de toi ce que tu es aujourd’hui’ »

Alors je me lève et je lui parle de la coupe de la tristesse et de la coupe de la joie. 

Dans la coupe de l’immense tristesse, il y a la coupe de l’immense joie. Les deux cohabitent ensemble. Il n’y en a pas une qui prend le pas sur l’autre. Et ce n’est pas parce qu’on ressent l’une que l’on doit culpabiliser de ne pas ressentir l’autre. Je lui explique alors que dans cette traversée il y a deux phares, qui peuvent aider à vivre de grande joie au milieu de grande tristesse.

Ses deux phares sont l’émerveillement et la gratitude.

Alors l’émerveillement elle l’a, elle sait faire. Elle s’est vraiment très bien faire. La gratitude c’est plus compliquée pour elle. Justement à cause du quotidien qui pollue les journées. 

Alors je l’invite à regarder plutôt la gratitude des petites choses. Parfois nous sommes trop gourmands et nous n’avons plus que de la gratitude pour des grandes choses. Mais les petites choses. Être allongée au soleil, manger du chocolat devant un film, rire avec sa fille. 

« Oui c’est vrai tu as raison. Ce qui me fait le plus peur c’est ça …. » Et elle éclate en sanglot. De long sanglot rempli de douleur. J’accueille, le prends. 

« Quoi ça ? »

« Ce que je vais laisser pour après ? Ce que je ne vivrais pas et surtout ce que mon trésor ne vivra pas avec moi. De quoi elle va être privée, parce que moi j’ai connu ce que c’était d’avoir une maman dans les moments importants de sa vie. Mais elle, elle ne saura pas. Et je ne veux pas être sexiste ou féministe, mais il y a des choses qui se vivent entre femme quoi ! »

Et elle pleure. Et Alizée récupère le flot de ses larmes ….

Alors je m’approche doucement d’elle, et je lui explique que nous, les gens de terre, on est habitué à vivre les choses toujours de la même façon. Avec les corps charnels et vivants des gens que l’on aime. Lorsque l’on perd quelqu’un, tout ce qui nous lie à lui ne s’arrête pas. Il nous faut alors trouver une autre façon d’être avec lui. On ne peut plus le toucher on ne peut plus le prendre dans les bras, mais il peut encore être présent dans tous les moments de sa vie, et même dans un quotidien jusqu’à la mort. Et que c’est pas parce qu’elle ne sera plus là, que sa fille ne vivra pas les grands moments de sa vie avec elle. Ça va être tout son travail, ce que l’on appelle le deuil, que de repenser cette relation sans pouvoir ni la voir ni la toucher. Pouvoir réinvestir la vie autrement et pouvoir vivre avec cette relation autrement. Mais cette relation ne s’arrête pas. Elle ne t’oubliera pas, Elle t’aimera toujours et tu seras toujours avec elle.

« Tu lui as déjà dit que tu seras toujours là ? Que tu viendras la voir d’une autre manière ? »

« Non on n’en parle pas trop. Mais on devrait. »

« Oui, tu as cette chance de pouvoir y penser, de pouvoir avoir un temps pour poser certaines choses, et prendre le temps de le faire. Ta maladie te laisse le temps »

« Oui tu as raison, je vais le faire. Tu sais j’ai vu la dernière fois sur les réseaux quelqu’un qui tout au long de sa vie, écrivait les recettes de la famille, ou des repas qui ont été partagés en famille, pour pouvoir ensuite l’offrir comme un cadeau de transmission….

Moi je ne sais pas quoi laisser »

Voilà !!!! On y est ! La mort, parler de la mort, parler de ce qu’il va se passer après la mort, parler du temps qu’on était en train de vivre, sans oublier qu’il y a quelque chose de très important à préparer : sa mort.

« Tu en parles parfois avec eux (sa fille et son chéri) de ce moment ? »

« Non ils ne veulent pas, ils préfèrent changer de sujet ou me dire que ce n’est pas le moment ».

« Peut-être tu pourrais leur parler de ce que toi tu as envie ou besoin, sans leur proposer forcément d’y participer ? »

« Oui c’est vrai, je pourrai »

« Avec moi tu peux en parler ! On peut le faire à chaque fois si tu as envie. Tu sais dans un pays du Nord il y a des ateliers pour fabriquer son propre cercueil. C’est une activité qu’on fait une fois par semaine le soir. Pendant un an, on se retrouve et on bricole son propre cercueil on n’y met ce qu’on veut dessus, on lui donne la forme qu’on veut, et quand on a terminé on rentre avec son cercueil ! 

Alors elle rit elle me dit mais je trouve ça absolument génial ! Si seulement on pouvait être beaucoup plus léger par rapport à ce moment-là. Moi j’adorerai pouvoir faire ça ! 

« Qu’est ce qui t’en empêche ? Tu peux déjà y penser ? Si tu veux moi je deviens ton Wedding planner de la mort ?

Elle : 

« Oh oui j’adore l’idée !!!! D’ailleurs il faut que je lui trouve un mot, un truc planner pour parler de l’organisation de sa mort. Comme les mariages ! On pense à tout, on prépare tout. Moi j’ai adoré préparer mon mariage ! Bon après je l’ai foiré …. »

« Alors faut pas foiré ta mort ! »

Elle éclate de rire !!!!

«  Oui, j’ai foiré mon mariage, je ne vais pas foirer ma mort »

J’aime tellement cette phrase, que ni une ni deux je lui écris en gros avec mes feutres sur la vitre de sa chambre. Juste à côté de la baie vitrée où il est écrit les deux piliers : émerveillement et gratitude.

Démarre alors une véritable conversation autour de ce qu’elle pourrait penser, de ce qu’elle pourrait anticiper, et de se projeter dans ce moment qui serait le moment du départ.

« Si tu veux, quand je te revois dans 3 mois tu me dis tout ce que tu as pensé ! Tu fais un petit dossier et moi je t’aide ! »

« oh la la j’adore l’idée ! C’est exactement ça ! C’est ça que moi je vais leur laisser, je vais leur laisser quelque chose de magique, quelque chose de magnifique le jour où je vais partir. C’est ça qu’ils vont garder de moi ! De toute façon moi j’aime pas cuisiner ! »

Alors on rit ! Et on échange encore ! Et elle imagine ! Et elle créé et on s’est fait la promesse d’avancer la prochaine fois ! 

Quand je la quitte, elle est radieuse ! Elle est extrêmement fière de voir cette phrase écrite sur sa fenêtre et elle a hâte de voir la tête des soignants qui vont la découvrir. Je la sens réellement soulagée d’un poids, le fait d’avoir pu alléger ce qui est si lourd à porter dans notre société. C’est pourtant sa réalité ! Et c’est tellement important de pouvoir en parler ! Surtout avec une neztoile…..

Alizée Novembre 2021

Service chirurgie digestive

Quand je frappe à la porte d’Eliane, c’est sa fille et son mari qui m’accueillent. Eliane est allongée dans son lit. Et si elle se fend d’un sourire malicieux à la vue d’Alizée, sa fille et son mari ont plutôt l’air sur la défensive, comme les gardiens protecteurs.

C’est pas tous les jours qu’une fée entre dans une chambre…

Je lui dis : « Bonjour, je m’appelle Alizée ! Je peux entrer ? »

Sa fille au téléphone ne reste pas dans la chambre, et son mari me dit qu’il sort, et il s’en va. Je sens bien qu’ils sont très protecteurs envers Eliane et qu’ils se demandent ce que je vais bien pourvoir lui raconter ! Mais elle me dit oui, et me fait un petit signe de la tête.

Eliane est rayonnante, son sourire magnifique. Je lui explique que je suis docteur de la joie.

  • Ici il y a beaucoup de docteurs des corps mais peu de docteur de la joie. Moi je m’occupe de l’intérieur, de l’intérieur, de l’intérieur.
  • Ah ben c’est bien. 
  • Comment tu te sens ? 
  • T.R.E.S bien ! 
  • A ben super ! Et qu’est-ce que tu fais ici ? 
  • On m’a opéré il y 6 jours. Et on m’a découvert un cancer. 

Eliane me raconte alors qu’elle est entrée pour une occlusion intestinale. Le chirurgien a décidé de l’opérer et en ouvrant a découvert un cancer des voies biliaires. Il avait tout envahi. Il a décidé de refermé et voilà. 

Je lui réponds alors : 

  • Ahhhhh ! Donc tu es en plain préparatif pour ton grand voyage ? 
  • Exactement !
  • Et tu as peur ? 
  • Absolument pas ! tu sais moi j’ai 83 ans, j’ai bien vécu. Maintenant il est temps pour moi de partir. 
  • Mais c’est incroyable ! Alors tu es prête …
  • Oui.

C’est alors que sa fille rentre dans la chambre. Elle s’assoit sur la chaise au pied du lit elle me regarde des pieds à la tête et me dit : « je ne savais pas que les Clowns intervenez aussi pour les adultes ! »

Je lui réponds alors : parce que tu trouves que je ressemble à un Clown !?

Regarde moi bien… je me lève et fait le tour de moi-même. Sa mère lui dit alors : mais non ce n’est pas un clown c’est une fée ! La fée je ne sais plus comment; Et moi de continuer : exactement je suis la fée Alizée. Et avec ta maman on était en pleine discussion sur son grand voyage….

Je profite alors d’évoquer avec Eliane ce qui est important pour elle, afin d’emmener sa fille dans cet univers qui reste souvent un non-dit.

  • Comment cela se fait que tu es déjà prête à voyager ? 
  • La foi ! Une très grande foi ! 
  • Ah c’est ça, toi tu y crois ! 
  • Exactement. 
  • Et qu’est-ce qu’il y a dans tes valises ? Qu’est-ce que tu emportes de cette terre ? 
  • Comment ça ? 
  • Ben oui tu sais la valise de sa vie. C’est avec ça qu’on part ! Avec tout le bonheur et toutes les petites choses que l’on a rangé tout au long de sa vie dans sa valise. Certains en ont des grosses, d’autres des petites. Et toi ? Elle est comment ta valise ? 

Alors elle me parle de ses enfants, de ses petits-enfants. La thèse de son petit-fils et de sa fiancée. De son fils décédé tragiquement, de son amoureux. Elle me parle de ce qu’elle aime dans la vie. 

  • Et tu écris ? Tu laisses des mots aux gens que tu aimes ? 
  • Non moi j’aime pas écrire, je préfère dire. 
  • Et comment tu l’imagines alors ce grand départ ? 
  • Chez moi et sans souffrance. 
  • Ah ben chez toi c’est bientôt, et sans souffrance va falloir mettre la pression au docteur pour qu’il travaille bien ! 
  • Tout à fait ! 

Sa fille nous écoute. 

Nos regards se croisent entre toutes les 3. 

Eliane me dit alors : 

  • Vous en avez beaucoup des cas comme moi ?
  • Ah non des cas comme toi on n’en a aucun, y’a que toi ! T’es vraiment un cas toi ! On n’en a pas des comme toi.

Alors elle éclate de rire. Elle regarde sa fille et part dans un fou de rire. Elle lui dit : elle me fait rire. Moment de complicité suspendu entre elles. 

  • Je vois d’autres personnes malades oui. Mais très peu sont prêts pour le grand voyage, du coup je les aide à faire leur valise. 
  • Et ben c’est bien. 
  • Tu sais que c’est rare les humains qui parlent de leur voyage comme toi ? 
  • Ah bon ? Mais on y passera tous un jour ou l’autre. Ça fait parti de la vie. 
  • Oui mais certains résistent très fort pour ne pas lâcher leur corps de terre. Et plus ils résistent, plus il s’accroche à ce corps, plus la souffrance est grande. 
  • Ah ça c’est horrible, c’est le pire quand on lutte. On ne peut rien faire contre ça alors il faut faire confiance. 
  • Ah parce que tu sais ça aussi toi ! Mais tu es une sage en fait !!! Moi je ne savais pas en entrant dans la chambre que j’allais rencontrer une sage. Ce n’était pas écrit sur la porte : ici c’est la chambre d’Eliane la sage …. 

Elle me sourit. 

Je lui dis alors : Si tout le monde était comme toi, les fées neztoiles seraient au chômage ! 

Alors elle rit encore. 

Je me tournée alors vers sa fille : 

  • Et toi ça va ? Tu es OK avec le grand voyage que ta maman prépare ? 
  • Oui on va respecter ce que veut maman. Même si c’est un peu difficile si c’est important pour elle.  

Alors je sors une plume de mon panier et l’offre à Eliane. Je lui dis : Quand tu verras la plume, tu penseras à moi. Je t’accompagnerai jusqu’au bout du voyage, même si on ne se revoit pas, tu sentiras que je suis avec toi …. 

Touchée par ce cadeau elle me dit : OK, je vais la garder en marque page dans mon livre.

Sa fille sort alors de sa chambre. 

  • Tu sais j’en rencontre pas beaucoup des êtres comme toi ! Tu es vraiment incroyable. 
  • Ah bon, merci …. 

Elle me remercie de ma visite. Je lui dis de profiter de tout ce qu’elle va vivre à partir de maintenant. Je lui dis de remplir tout le temps qui arrive, à chaque minute. 

Elle me dit oui avec les yeux, avec le coeur, avec le sourire, avec tout son être en fait ! 

Je lui dis que s’il n’y avait pas les gestes barrières, je la rependrai dans mes bras pour la serrer fort contre moi. Elle me répond qu’elle aussi mais que le coeur y est. On se regarde alors longtemps. 

Je sors en lui envoyant pleins de baisers. 

Je remercie son mari de me l’avoir prêter quelques minutes et lui dis la chance qu’il a de la connaitre ! 

Avant de quitter le service, je m’arrête pour me laver les mains. J’entends quelqu’un pleurer comme une enfant dans le couloir. 

Quand je sors, je vois que c’est sa fille. 

  • Ah tu es là ! C’est toi qui pleure ….

Je m‘assois à côté d’elle.

  • Donne moi tout ce que tu ne veux plus, je prends….

Quand les larmes et les sanglots se clament, elle me dit dans un murmure : C’est dur …. 

  • Oui, c’est normal que ce soit dur. Et ce n’est pas parce que c’est dur que c’est mal. 
  • Je ne sais pas si je peux pleurer devant elle. 

Alors on parle de ce partage des émotions. De cette possibilité d’exprimer sa tristesse sans que cela alourdisse les moments. Juste partager que c’est bien d’être là mais que c’est dur aussi. Elle me dit qu’elle attendra qu’elle soit renter à la maison. 

On parle aussi du temps à remplir, et non du temps à attendre. 

Elle me remercie, me demande comment je fais pour faire ça. La méfiance à laisser place à l’accueil. Son premier regard s’est transformé, elle me remercie encore et encore. Elle me dit qu’elle n’oubliera jamais. 

On se quitte avec de l’amour dans les yeux. Elle me touche, elle est force et fragilité. 

Alizée – Avril 2021

Service Oncologie/hématologie 

Je frappe et j’entre dans la chambre. Un petit couloir m’empêche de voir le patient, mais je vois une dame assise sur une chaise, plongée dans son smartphone. Elle lève les yeux et me regarde d’un air étonné. Puis avec un sourire amusé, elle dit au patient dont je ne vois que les pieds : Il y a un clown ! 

Alors j’entends sa voix lui répondre: Ben dis lui de rentrer. 

J’avance alors à petits pas et découvre Bernard allongé sur son lit. A côté de lui une autre dame est assise dans le fauteuil. Elle guette sa réaction. Il me fait un grand sourire et me dit bonjour. 

Je lui réponds alors : 

-Bonjour, je m’appelle Alizée. Comment tu t’appelles ? 

-Bernard.

-Bonjour Bernard. 

Je me tourne alors vers les dames et leur demande leurs prénoms. Elles me répondent l’une après l’autre. Je demande alors à Bernard qui sont ces ravissantes dames qui l’accompagnent. Il me présente son épouse, assise au pied du lit et sa cousine, assise à côté de lui. Je reviens alors vers lui et lui demande : 

-Comment te sens-tu ? 

-Bof, moyen.

-Ah tu n’es pas très bien. Elle est comment ta météo à l’intérieur de l’intérieur de l’intérieur de toi ? 

-Maussade.

-Qu’est-ce qui pourrait faire revenir le soleil ? 

-De partir courir dans un champ. Je me sens enfermé. 

-Ah ça tombe bien, enfin pas que tu sentes enfermé hein, mais parce que je suis respirateur d’hôpital !! Si, si.  Ça fait longtemps que tu es là ? 

-Oui 4 semaines. Je ne peux pas sortir. Ma jambe est cassée. C’est comme ça que l’on a découvert ma maladie. 

Du coin de l’oeil je vois la dame assise à côté de lui avoir les larmes aux yeux. Elle se retient et se cache dans son mouchoir.

Je lui fais alors une confidence : 

-Sais-tu que tu peux sortir de cette chambre. Enfin ton corps il reste là et moi je pars avec toi dans les champs. 

Il me regarde tous les trois d’un air suspect …. Je lui dis : 

-Tu veux qu’on y aille ? 

Il me fait oui de la tête. Je sens qu’il est curieux et à la fois pas très convaincue. Je lui propose de fermer les yeux et de s’installer confortablement dans son lit. Il s’installe puis ouvre brusquement les yeux et dit à sa femme : 

-filme ! 

-Ah ben carrément, toi quand tu vis une expérience c’est du sérieux ! 

Sa femme ouvre le smartphone et enclenche la caméra. Moi je lance la musique et je commence.

Ferme les yeux et prends le temps. Respire profondément. Gonfle tes poumons de cet air qui entre par tes narines, et laisse le ressortir, libre. Prends le temps de respirer car tu vas avoir besoin d’air.  Plus tu respires et plus tu sens léger. Léger comme l’air, léger comme un ballon qui s’envole. Tu ressens presque ton corps qui décolle du lit. Tu ressens cette sensation de légèreté dans tout ton corps et ça te rempli de joie. Tout à coup, tu ouvres la fenêtre. Tu sens l’air qui te caresse le visage. (je souffle sur son visage à ce moment là). Tu décides de sauter et de partir. (la musique devient plus rythmée, plus intense). Et tu cours, tu cours vers ce champ merveilleux. Peut-être le connais-tu déjà ou peut-être l’as-tu rêvé ? Mais tu le vois ce champ, il est juste devant toi. Tu cours de plus en plus vite et tu te sens de plus en plus libre, heureux, léger. Tu sens les herbes qui te chatouillent les pieds. (Je lui caresse les pieds avec une plume). Peut-être es-tu seul dans ce champ ou peut-être que les gens que tu aimes te rejoignent. En tout cas tu es bien, heureux et joyeux. Et tu profites de ce moment, les nuages, le soleil… 

Je le laisse profiter.

– Ahhhh respire bien et quand tu as envie tu peux revenir avec nous. Tranquillement hein, à ton rythme tu reviens et tu ouvres les yeux.

La musique s’arrête et il ouvre les yeux. Il arbore alors un magnifique sourire et m’applaudit comme un enfant. Il regarde sa femme d’un air complice, le voyage a été filmé :).

-Alors, c’était bien ? 

-Trop bien ….

-Tu sais que tu peux y retourner quand tu veux ? Tu fermes les yeux, tu respires pour être plus léger et hop …. Tu t’échappes. 

-Oui me fait-il de la tête. 

-Alors tu te sens comment ? 

-Ca va. 

Mais je sens que ça va pas complètement. Sa cousine pleure à côté et me faisant signe de ne pas réagir pour pas qu’il voit. Evidemment je réagis à fond. 

-Olala mais ces larmes …. Tu sais que je récupère tout moi, les larmes, la tristesse. Je prends tout. Je suis un récupérateur de tristesse.

Je joins mes mains et m’approche d’elle en mettant mes mains sous son visage. Elle me fait non de la tête puis explose en sanglots. Je la prends dans mes bras et lui dit de tout me donner. 

-Je prends tout vas-y donne moi tout ce que tu as. Ne garde rien, soit généreuse. 

Elle éclate en sanglots et je la prends dans mes bras. Elle pleure dans mes bras sous les yeux de ses proches. Peut-être ose t’elle pour la première fois offrir et partager sa tristesse avec eux. Je ne sais pas. Elle me fait signe que c’est bon, je relâche mon étreinte. Quand je me retourne, Bernard me regarde avec beaucoup de gratitude dans les yeux. Je lui dis : 

-Et ben, elle en avait des choses sur le coeur ta cousine. Elle est tout le temps généreuse comme ça ? 

Il me sourit.

Quand je me retourne, c’est son épouse qui pleure. 

-Ah lalala mais toi aussi tu veux me donner des choses ! Alors elle rit et pleure en même temps, et je la prends dans mes bras. 

Quand elle a fini de sortir ses pleurs, je regarde Bernard et lui dis : 

-Dis donc tu as une sacrée famille toi ! 

-C’est pour ça que je veux rentrer. 

-OK, de quoi tu aurais besoin pour garder la force jusqu’à ce que tu rentres ? Qu’est-ce que tu voudrais que l’on te dise tous les matins pour que cela te donne l’énergie de te battre ?

-….

Je m’adresse alors à sa cousine : 

-Qu’est-ce que vous lui diriez-vous ? 

El là elle part dans un grand monologue où elle lui témoigne son amour et sa présence éternelle auprès de lui. Elle lui qu’elle prie tous les soirs pour lui et demande à dieu de le sauver. Elle lui dit qu’elle sera là quoi que Dieu décide. 

Alors je résume tout ça sur un papillon post-it et je le colle sur la barrière. 

Pius je m’adresse à son épouse. 

-Et vous ? Vous auriez envie de lui quoi ? 

-Rentre vite, on t’attend. 

Je note sur autre papillon et le colle sur la barrière. 

Puis je lui écris une phrase aussi : Pars courir dans les champs quand tu as besoin de force. 

Et je lui demande s’il veut aussi s’en offrir une. 

Il me dit non, je vais prendre que celles-là. 

Alors je leur propose de se réunir autour de Bernard et de lui transmettre toute notre force. Je leur propose de se relier de coeur à coeur pour être toujours ensemble quoi qu’il arrive. Son épouse se lève, nous nous prenons tous les 4 par la main. Nous respirons ensemble et je les invite à fermer les yeux et à profiter de ce moment où nous sommes liés. Puis je mime un fil qui part de nos coeurs et se relient aux autres coeurs. Je leur dis que nos coeurs sont liés toujours. Que même si on ne se voit pas, on pourra encore sentir ce fil qui nous lie de coeur à coeur. 

Ils ont les yeux fermé. La main de Bernard à droite et la main de son épouse à gauche me serrent fort. 

Quand nous ouvrons les yeux, Bernard me fait un grand sourire. Je leur dis que je vais les laisser maintenant. Alors, malgré sa fracture il se relève dans son lit et me tend les bras. Nous nous faisons alors un énorme câlin. J’envoie des baisers aux deux femmes qui me regardent partir. Son épouse me dit merci du bout des lèvres, sans un son. 

Je quitte la chambre, dans les sourires et certainement la petite porte de la reliance. 

Je sais que maintenant ils savent qu’ils ne seront jamais séparés. 

Alizée – décembre 2019

 

Service Oncologie/hématologie 

Je rentre dans la chambre sur la pointe des pieds. Elle me regarde avec un grand sourire. Faut dire que cela ne fait que quelques jours qu’elle est sortie d’aplasie, et donc d’isolement. Elle me regarde avec des étoiles dans les yeux et me dis : 

  • Oh comme tu es belle !! Tu es vraiment magnifique. Attends je vais prendre une photo pour pouvoir la mettre chez moi ….

Je lui dis merci et lui dis qu’elle est très lumineuse aussi. Je me laisse faire au jeu des photos. Elle sourit de me voir prendre des poses différentes. Au bout de quelques minutes elle pose son téléphone t je peux lui demander comment elle s’appelle : 

  • Denise
  • Je suis enchantée de rencontrer Denise, moi c’est Alizée. 
  • Merci d’être venue me voir. Cela me fait tellement de bien de te voir. Tu es si belle ! 
  • Que fais-tu ici ? 
  • Je suis venue faire ma chimio. 
  • Et comment ça se passe ? 
  • Ca va, j’ai passé le plus dur. Maintenant je peux sortir de ma chambre. Mais je la supporte plutôt bine pour mon âge. 

Je lui demande son âge, et lui fais une proposition à 70 ans. Elle éclate de rire. 

  • Tu me fais rire, j’ai 82 ans

Waou je reste bouche bée, Denise est une très belle femme. Je lui dis. Elle me répond que c’est moi qui suis belle. Je lui alors que nous sommes deux belles femmes qui profitons de ce moment présent. Elle me souris. 

  • Comment tu vois tes lendemains ? 
  • Sereine. 
  • Tu te sens sereine ? 
  • Oui.
  • Tu as peur de la mort ? 
  • Non pas du tout. La mort ne me fait pas peur. Ce sont mes enfants qui ont peur que je meurs. 
  • Tu en a parlé avec eux ? 
  • J’ai essayé mais ils me disent tout de suite : Non maman, ne parle pas de malheur. Pourquoi tu parles de ça. 
  • Ils ont peur de la mort tes enfants ? 
  • Oui beaucoup. Alors je n’en parles plus. Mais moi je suis prête. Quand Dieu le voudra, il pourra me rappeler à lui. Je suis prête. 

Je lui dis alors qu’elle est merveilleuse et que c’est extraordinaire de croiser des personnes comme elle, prête à partir pour un grand voyage. Je lui demande alors ce qu’elle aime dans cette vie sur terre.

  • Mes petits enfants. Elle en a 4 et me décris chacun d’eux. 
  • La danse et la musique. 

Merveille ! Je lui demande alors si elle veut danser ? Elle me dit que non, qu’elle aime regarder les gens danser. Je lui propose de danser pour elle. Elle accepte. Je mets alors la musique et commence à virevolter dans sa chambre. Je lui prends les mains, et elle danse avec moi, son corps allongé sur le lit, elle se joint à moi pour un moment de danse et de joie. 

Quand je finis elle me dit merci. Elle me dit que c’est merveilleux de vivre ça à l’hôpital. Elle me demande si je vais voir d’autres personnes, si je vais repasser, comment elle peut me revoir. Je sens que cette rencontre à résonner pour elle. Qu’elle lui a permis de se connecter à la beauté, au merveilleux. Elle n’avait pas besoin d’être apaisée, juste d’être déconnectée à ce qu’elle croit déjà, la force du vivant, la puissance d’un ailleurs. Je lui laisse une plume en souvenir d’Alizée. 

Elle la prend délicatement et la range dans les pages de sa bible. Elle me dit qu’elle va la garder toujours. Qu’elle va la mettre à côté de ma photo qu’elle va développer en rentrant chez elle. 

Elle me dit qu’elle oubliera jamais notre rencontre. Je lui réponds que je suis remplie de bonheur de l’avoir rencontrée. Elle me répond qu’elle aussi. Nous nous quittons dans la joie et l’amour, dans le bonheur d’une rencontre avec une femme déjà remplie et prête pour ce grand voyage.

Alizée – décembre 2019

Service chirurgie digestive 

Quand je rencontre ce jeune homme, Alizée n’est pas encore arrivée sur terre, elle est en chemin. Mais son énergie vit déjà en moi. Il m’aura suffit d’un nez rouge et d’un chapeau pour laisser parler l’aisance et la joie d’Alizée. Sans blouse, ce jour là, je fais une rencontre extraordinaire….


Service de chirurgie digestiveCHU Saint Denis

Je passe la tête par la porte, juste la tête. Comme je n’ai pas de costume, j’ai mon nez, et un chapeau de noël que j’ai piqué à mon fils …. Je suis sans blouse. Quand il me voit, il sourit, un sourire magnifique. 

Je lui dis : 

« Salut …. Je peux rentrer ?

Il me répond en souriant : 

Oui bien sûr…

Il manifeste de la surprise, il sourit en se demandant certainement ce que je fais là. Je lui dis : Ca va toi ? Il me fait oui de la tête. J’ai une petite sacoche avec moi, qui émet de la musique locale réunionnaise. 

Je me présente : 

  • Je m’appelle Alizée, tu as déjà rencontré ma cousine en début de semaine …. 

Il me fait signe qu’il ne sait pas. Je pense qu’il me croit vraiment quand je lui parle de ma cousine et je comprends alors qu’il ne me reconnaît pas.

  • et toi tu t’appelles comment ?
  • Said, mais mon nom c’est Said Ali, et dans mon île on m’appelle Ali Maecha.
  • Aaaah, mais moi alors comment je t’appelle ? 
  • Said.
  • Ok Said, je suis super heureuse de te rencontrer
  • Moi aussi (toujours avec ce sourire merveilleux)

Je lui demande pourquoi il est là ? Il me répond : parce je suis malade. 

Je lui dis : Rhooo mince alors, ça ne doit pas être facile d’être malade ?

Il me dit : non, c’est dur….

Alors j’enchaine : 

Je fais mine de réfléchir …. Mmmmh c’est dur …. Mmmmh Est-ce qu’ il a pas un endroit où tu te sens bien ? Un endroit que tu connais ? 

Il sourit encore plus fort et me fais oui de la tête. 

  • Alors c’est où ? 
  • Chez moi, sur la plage où il y a le plus bel hôtel de l’île.
  • Ah oui ?? et elle s’appelle comment cette plage ?
  • La plage de Trévani.
  • Hooo et elle est où cette plage ?
  • Sur mon île, à Mayotte.

Alors je lui dis : ferme les yeux, on va  y aller, imagine que tu y es, (silence) regarde autour de toi (silence);… Tu sens même les embruns et l’odeur du sel et de la mer (silence). Il doit y avoir d’autres odeurs là-bas ? Qu’est-ce que tu sens ? 

  • Je sens les fleurs
  • Oui, quelle fleur ? 
  • Les petites blanches, le jasmin….
  • Rhoo oui le jasmin quel parfum délicieux …. Quoi encore ? 
  • L’ylang
  • Ahhhh l’ylang ylang ….. Quelle odeur enivrante…. Enivre toi, ressens, regarde …..

Je le laisse profiter. Il ferme enfin les yeux …. Il sourit ….

Alors je lui dis : 

  • Qu’est-ce que tu fais sur cette plage ? Tu es tout seul ?
  • Non je danse …..
  • Hannnn quoi tu danses ??? mais c’est génial qu’est-ce que tu danses ? 
  • De la danse freestyle
  • Freestyle ? C’est le truc on se retourne dans tous les sens la tête en bas les pieds en l’air ça ? (et je mime). Il rit et me dit oui oui c’est ça …
  • HA d’accord et on dansee ça sur quelle musique ?
  • Une musique étrange, avec du rythme, des tambours, quelque chose qui revient sans cesse.

Je cherche dans mon ipod et lui met « Christine Salem » musicienne et chanteuse réunionnaise qui utilise beaucoup les rythmes africains et les tambours. Elle a une voix très grave qui amène à la transe.

Je lui dis : Genre ça ?

Et là il sourit, il sourit encore plus fort qu’au début, il ferme les yeux, il me fait oui de la tête, il est parti …. Il est sur la plage de Trévani, il danse … je le sens … je le laisse profiter.

Puis je lui dis : Tu es tout seul sur cette plage où tu y vas avec des potes ?

Je suis avec mes copains.

Alors regarde-les, il y en a un qui a commencé à danser, et tu l’encourages…. Je tapes alors dans mes mains… il bat le rythme de ses doigts sur son front. 

Au bout de quelques minutes je lui dis, c’est à toi maintenant, danse, bouge, ressent les mouvements dans ton corps … ; 

On crie aussi non quand quelqu’un fait un truc bien ?

Il me fait oui de la tête ;…

Alors je monte le son, et je crie : Wououououwouou !!!! 

Hiiiiiiyaaaaaaaaaa

Uiuiuiuiuiuiuiuiuiui

Et il sourit, il sourit et il danse dans sa tête …. Et je danse la chambre, je le laisse là-bas …. 

A un moment je lui dis : 

  • Si t’as soif tu me dis hein je te sers un coca frais …. Puis je regarde sa table …. Ou de l’eau !!! 

Alors il sourit et me dit :

  • Qu’est-ce que c’est bon …
  • Ah !!! tu es bien là-bas ?
  • Rho oui alors, qu’est-ce que ça fait du bien ….
  • Alors profite, profite de tout ton cœur, de toute ta tête …. Profite…. Et il repart ….

Au bout de quelques minutes je lui dis : 

  • Quand tu es trop fatigué d’avoir dansé, tu me dis hein on fait une pause…. (et je le dis essoufflée)

Puis il me signifie que ça y est …

Alors je baisse la musique puis l’arrête. Je m’assois sur le bord du lit : 

  • Haaaaa qu’est ce qu’on est bien là ….
  • Merci ….. merci c’était trop bon… me murmure t’il…
  • T’as raison on s’est éclaté ! et c’est cadeau ça, c’était à l’intérieur de toi …. Tout près…. Tu es juste aller le chercher …
  • C’est vrai ….

Alors je mets PINK Martini et je prends sa main … Je lui propose de respirer profondément pour atterrir. Il me regarde bizarrement…

  • Ah oui tu ne sais pas mais je suis respirateur d’hôpital. (il hausse un sourcil)
  • Oui je suis aussi assistante du  moral de troupe … Alors là il sourit.
  • Alors on va respirer profondément tu vois, comme ça (et je fais une grand inspire et une grande expirer) On va respirer le bonheur, la légèreté, la joie et on va recracher la poussière, la peine et la douleur ….. Allez on gonfle les poumons et on inspire la paix et le bonheur, et on expire la poussière et la peine. 

On fait ça plusieurs fois, puis je m’assois près de son lit. Je lui prends la main …. Puis on se laisse bercer par la musique, nos mains l’une dans l’autre on danse. Il me dit : 

  • Ca fait si longtemps que je n’ai pas écouté la musique …. Qu’est ce que c’est bon … merci, merci beaucoup.
  • Profite, tout ce que tu vis aujourd’hui c’est un cadeau que tu te fais …. Tout est là (et jepose la main sur son cœur) tout est enfermé là et personne ni la maladie eut te le prendre. C’est à toi, tu y vas quand tu veux ! 
  • C’est vrai…
  • C’est ton trésor, ton jardin secret …
  • Merci, …..merci ….
  • (ses yeux se voilent) Tu es triste ? 
  • Là maintenant ?
  • Oui
  • Non, qu’est-ce que je suis heureux …. 

Plus de mots, c’est lui qui danse… c’est lui qui tient ma main, et je me laisse faire … il me dit au bout d’un moment : mais tu sais danser ? Oui, comme toi j’aime la musique. Et pendant notre écoute et notre danse, main dans la main, je laisse mes doigts courir sur son bras, en rythme. Je finis par le bout du nez, il sourit, ce sourire merveilleux qu’il a !!!! Je lui dit alors : 

  • On t’a déjà dit que tu avais un sourire magnifique ?
  • (en souriant) oui on me le dit souvent …

A la fin du morceau on s’arrête…. Je lui demande comment il va. Il me dit qu’il est super bien, me murmure des mercis… 

Je lui dis que tout ça c’est en lui, qu’il a emmagasiné tellement de bonheur et de moments merveilleux en 19 ans…. Tout cela ça lui appartient, personne ne peut l’enlever ou lui voler. Ah oui, parce que Said a 19 ans, qu’il n’a pas vu sa famille depuis 3 mois, depuis l’évacuation sur la Réunion, et qu’il a su dimanche que les médecins ne pourraient pas le sauver de sa maladie. 

Said il se sent seul et déraciné, il a besoin de sa maman, et je lui dis que la maladie ne pourra jamais effacer les trésors qu’il renferme … que tout ça c’est à lui (en mettant la main sur son cœur) Qu’il y va quand il veut, que le bonheur d’aujourd’hui, la vie de maintenant elle est belle et qu’il a le droit de la vivre …. Il m’a dit : 

  • Tu as raison, tu as tellement raison…. Merci …
  • Tu veux que je repasse te voir ?
  • Oui ;… d’accord.

Alors je quitte la pièce, en reculant et en lui envoyant des dizaines de baisers…. Il me sourit encore et encore, et continue à me dire merci …. C’est moi qui le remercie

Je ferme la porte, et des larmes de joie envahissent mes joues …. Il est si beau !!!  

Cynthia – Décembre 2017

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