La mort cérébrale, un paradoxe vivant

mort cérébrale confiance en soin

Il n’est pas mort … son cœur bat encore :

 

Baptiste a 5 ans et demi. Depuis 48h il n’est pas bien, il a de la fièvre avec des vomissements et des diarrhées. Ses parents pensent à une gastro. Il le bichonne, lui donne à boire, lui donne du paracétamol et reste avec lui. Puis il va convulser, il tremble de tout son petit corps et ses parents très inquiets appellent les pompiers. Il part en urgence vers l’hôpital le plus proche.

Là-bas, il va avoir tout un tas de contrôle, prise de sang, pose de perfusion, radio. Il a une infection du poumon, des 2 côtés, un épanchement pleural bilatéral qui l’empêche de respirer. Il a beaucoup de fièvre. Il est transféré rapidement en service de réanimation pédiatrique, où il va être placé dans un sommeil artificiel pour éviter qu’il ne souffre trop de tout ces tuyaux et piqûres nécessaires pour comprendre ce qui est en train de se passer.

Il va être branché à une machine qui va l’aider à respirer en envoyant de l’air dans ses poumons. Les docteurs vont enlever le liquide qu’il a dans les poumons, enfin dans la plèvre, l’enveloppe du poumon. Pendant 48h Baptiste ne convulse plus. L’infection semble maîtrisée, les bilans sanguins sont rassurants. Il doit avoir une horrible bactérie qui est passée dans le sang et il a une septicémie. Mais les docteurs ne savent pas encore qui elle est, ni ce qu’elle peut provoquer.

Baptiste est maintenant dans un coma artificiel avec des tuyaux un peu partout. Ses parents sont inquiets. Tout est si brutal. Il allait si bien en début de semaine. Les médecins prennent du temps pour tenir au courant les parents de Baptiste à chaque nouvelle information. Toutes les données leur sont transmises, même un peu trop. Dans ce flot d’informations, les docteurs transmettent aussi leur incertitude et leurs inquiétudes… Mais comment faire autrement ? C’est tellement compliqué la limite entre ce qu’il faut dire et ne pas dire, entre toute la vérité et un peu de vérité.

Baptiste semble calme, trop calme d’ailleurs. Les réanimateurs vont lever un peu les doses du médicament qui l’endort. Mais Baptiste ne se réveille pas. Bizarre…. Un échodoppler des vaisseaux du cerveau est alors réalisé. Cela permet de voir en temps réel l’activité circulatoire dans les vaisseaux. Le sang ne circule plus. Baptiste va passer ce que l’on appelle un angioscanner, un scanner précis pour apprécier la qualité de la circulation sanguine. Et là le verdict est sans appel. Le cerveau de Baptiste a cessé d’être irrigué, le sang ne circule plus, Baptiste est en mort cérébrale.

Il aura par la suite deux EEG (électro encéphalogramme), des examens qui enregistre l’activité électrique du cerveau. C’est la loi pour déclarer qu’un être humain est mort alors que son coeur et ses poumons battent encore grâce aux machines. Les tracés enregistrés par ces examens sont plats, ce qui veut dire qu’il n’y a plus d’activité cérébrale, Baptiste a quitté ce monde.

Mais comment l’annoncer aux parents ? Ce que je veux dire c’est comment expliquer à ces parents une réalité qui n’est qu’une réalité médicale, qu’une réalité fondée sur des résultats donnés par des machines.

Parce que Baptiste lui, il est pareil que la veille. Il dort, il est chaud, il est endormi. Il a tous ces tuyaux autour de lui mais qu’est-ce qui a changé pour eux ? RIEN, absolument RIEN. Pourtant le rôle du docteur est bien d’annoncer que Baptiste est décédé. Son coeur bat, ses poumons respirent mais son cerveau est mort.

Il va donc falloir débrancher les machines. Impensable. Comment imaginer que ces parents puissent accepter que l’on va débrancher Baptiste. Là il est vivant et sans les machines il sera mort. Donc c’est non, les parents ne veulent pas.

Est-ce qu’ils croient les réanimateurs à cet instant là ?

Est-ce que ces machines peuvent se tromper ?

Ils en sont sûrs. La réalité est tellement inacceptable. Comment les accompagner dans ce concept ? Oui parce qu’à ce moment-là c’est bien un concept la mort, un simple concept scientifique, inventé par des scientifiques pour permettre le don d’organe. En France on ne peut pas prélever d’organe sur un être vivant. Sauf dans le cas de la greffe du rein ou un adulte consentant et compatible peut donner son rein à un membre de sa famille. Alors il a fallu créer un statut à cette personne, pas encore morte mais plus vivante. Et cet état est l’état de mort encéphalique. La mort du cerveau. La définition médicale de la mort est bien l’arrêt cardio-respiratoire. Mais sans activité cardiaque et respiratoire, les organes ne sont plus irrigués et donc le prélèvement d’organes impossibles. En réanimation, les patients qui bénéficient de ce que l’on appelle des suppléances vitales, peuvent présenter un état de mort cérébrale. C’est dans ce contexte que le prélèvement d’organes pourra se faire.

Mais imaginez la complexité pour ces parents, de voir que rien n’a changé pour Baptiste, et que pourtant ceux qui représentent la médecine sont formels : Baptiste est mort.

Aussi insoutenable que peut-être la douleur des parents, le respect de leur temporalité est ici essentielle. Cette temporalité qui permet à l’autre, le malade ou sa famille, de rejoindre les équipes soignantes dans leur savoir. Ce qui peut paraître une évidence pour les blouses blanches d’un côté, peut être un choc inacceptable pour le patient et sa famille. Le temps, la rencontre, pour répéter encore et encore ce qui se passe, doit être privilégié pour permettre à ces parents, non pas d’accepter la mort de leur enfant, mais de comprendre que la situation est irréversible.

Les petites mains chaudes de Baptiste sont là, le son des battements de son coeur sortent de la machine, la respiration régulière avec la machine, tant de paramètres vitaux visibles, entendables, palpables. Et pourtant, pourtant, Baptiste est déjà bien loin de son petit corps…

Le respect de la temporalité de l’autre est tellement importante dans notre métier pour établir une relation de confiance, permettre à l’autre de nous faire confiance et de ne pas se sentir brusqué, ni pressé, dans l’acquisition des éléments tragiques qui touchent un être humain. Parce que lorsque l’on touche à la santé, c’est toujours tragique.

Je veux rendre hommage dans cet article aux soignants des services de réanimation, adulte comme pédiatrique, qui, tels des équilibristes, se battent chaque jour pour garder l’équilibre sur la crête si fine de la vie. A chaque seconde, leurs patients peuvent basculer du côté de la vie ou du côté de la mort. L’extrême fragilité des personnes en réanimation demande une attention de tous les instants. Les montées d’adrénaline sont aussi fréquentes que les montées de peur. Les rires fleurent avec les larmes. C’est si intense, si rapide, parfois si incroyable et si beau, parfois, si tragique et si douloureux. Dans cet univers intense, ils soignent, travaillent, prennent des décisions parfois lourdes et difficiles, de grosses responsabilités. Ce soir je leur dédie cet article.

N’oublions pas cette temporalité et l’importance du respect du temps de chacun.

Pour Baptiste.

PS : Être soignant

Je vous invite à découvrir ce podcast sur l’incertitude, grande présente dans nos réflexions de soignants au quotidien …. Prenez le temps ici

Cynthia

2 Comments

  • Virlouvet

    Encore un bel article…
    Quel métier difficile!

    • Cylie

      Merci, mais tellement magnifique !

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