Contention, entre culpabilité et nécessité

contention

La contention est un sujet toujours délicat dans les services de soins. En tout cas quand il ne l’est plus c’est urgent de s’arrêter pour réfléchir à nos pratiques. Même si ce soin, tant bien même qu’on puisse appeler cela un soin, relève de la prescription médicale, attacher un être humain à son lit relève à mon sens plus de l’éthique que du traitement. Dans cet article, je vous invite à vous poser et à réfléchir sur ce que l’on fait, ce que l’on impose et où se trouve les limites de la maltraitante dans cette pratique.

Prescription médicale

Dans un premier temps, il est important de replacer le cadre à l’intérieur duquel l’application des contentions est effective. Savez-vous qu’uniquement DEUX INDICATIONS peuvent motiver la prescription de contention ?

 Il s’agit des états d’agitation et de confusion avec auto ou hétéro agressivité.

Les situations où le patient par son état clinique se met en danger en déambulant de manière excessive ou précaire et ayant un risque de chute.

C’est TOUT !

Tout le reste n’entre pas en compte dans les indications à la contention !

Autre chose, toute mise en place de contention relève d’un consensus d’équipe. C’est à dire que cela doit être discuté en amont de la prescription. Ce n’est pas une prescription que l’on découvre sur le dossier en dessous du lasilix. C’est une réflexion qui amène la prescription.

Je vous invite à lire cet article qui regroupe législation, recommandations de l’HAS et expérience pour définitivement comprendre le cadre et la surveillance des contentions.

Pourquoi prendre le temps de la réflexion avant de mettre des contentions ?

Pour être sûr d’être dans les clous, pour faire le tour des idées que certains pourraient avoir comme alternative à la contention, pour que cette décision ne soit pas portée par une seule et même personne.

Oui c’est facile de se déresponsabiliser ethiquement parlant en se « réfugiant » derrière la prescription. Mais se taire c’est consentir. Ce que je veux dire par là c’est que faire, même si cela n’a pas de sens, c’est comme exécuter bêtement la tâche qui nous est imposée. Sans mettre en jeu nos connaissances, notre expérience, notre expertise.

Le regard du patient, les questions de la famille, ses cris, les marques, ce sont les soignants qui les vivent, qui les accompagnent. Alors c’est indispensable de savoir pourquoi on le fait.

Mais parfois c’est impossible de faire sans les contentions !

Oui, parfois …. Mais pour quelle raison ? Est-ce pour le confort des soignants ou pour la réelle protection du patient ?

En gériatrie par exemple, nous connaissons maintenant toute l’importance de la déambulation. L’impact sur l’angoisse, sur l’anxiété, surtout la nuit. Cette nécessité que nos anciens, surtout ceux dont le cerveau fuit sans cesse, ont de marcher, de se déplacer, de se sentir vivant et debout, parce que c’est ce qu’il leur reste de dignité, d’humanité.

Yves Gineste, le père fondateur de l’humanitude, disait en 1 semaine la personne de plus de 80 ans perd 15% de ses muscles, 10% la semaine suivante, en 3 semaines elle est grabataire. L’institutionnalisation créée les grabataires car on se sait pas les laisser debout. On ne sait les accompagner pour qu’il reste droit et digne jusqu’au bout.

J’ai pleuré le jour où j’ai vu une gériatre retiré les lits des chambres des patients déambulants qui voulaient sauter la barrière. Elle avait mis les matelas au sol. Plus de chute, plus de contentions, la personne pouvait se lever et se coucher à sa guise.

On sait faire, on peut le faire. Dans la créativité et le travail d’équipe ont peut trouver la ressource pour réfléchir à cet autrement, cet autrement plus humain que d’attacher une être humain à son lit.

La culpabilité de la contention

Elle vient de l’absence de sens. On attache des animaux, du bétail, mais un homme, une femme. Un être qui un jour a enfanté, une personne qui a fait la guerre, un chef d’entreprise, un paysan, un militant, un beau gosse …. Bref eux, eux, on ne les voit plus dans leur singularité, leur humanité, mais juste comme une problématique à solutionner. On ne voit plus que le risque, le problème, le besoin de protéger, d’immobiliser.

La culpabilité selon le Larousse : Sentiment de faute ressenti par un sujet, que celle-ci soit réelle ou imaginaire.

Oui sentiment de faute. Et ce sentiment de faute apparait à chaque fois qu’il n’y a pas de sens dans ce que l’on fait. Parce que l’on se sent fautif de ne pas pouvoir faire autrement. Coincé entre la prescription et l’injonction, difficile de s’extirper.

Pourtant devant une contention posée à bon escient, la culpabilité n’intervient pas ou peu. Parce que vous avez une réflexion, un objectif et ça fait sens pour vous comme pour l’autre.

D’où l’importance de faire confiance à cette voix, cette petite voix intérieure qui vous alerte et vous guide en vous disant que là c’est trop, c’est inutile, c’est dur, ou au contraire c’est juste.

Objectivez au maximum vos actes en vous posant trois questions :

  • Pour qui vous le faites ?
  • Pourquoi vous le faites ?
  • Comment vous le faites ?

Si vous sentez que l’une des réponses n’est pas tournée vers l’intérêt du patient, mais plutôt vers d’autre motivation, alors vous êtes à côté et votre culpabilité va pointer le bout de son nez. Objectiver, c’est rationnaliser, c’est prendre le temps de la réflexion pour choisir la moins mauvaise des solutions.

La voix qui vous souffle que non

Depuis tout petit, votre vie, vos pensées sont guidées par les conseils et regards des personnes qui sont à l’extérieur de vous. Vos figures parentales, vos enseignants, vos profs, votre famille; Tout le monde à l’air depuis toujours de savoir mieux que vous ce qui est bon pour vous.

  • Mange c’est Bon, tu ne sais ce qui est bon
  • Ecoute le professeur il sait
  • Tu es un enfant, moi un adulte je sais mieux que toi
  • Tu n’as pas d’expérience tu ne peux pas savoir
  • Tu comprendras plus tard
  • etc, etc, …

A quel moment on vous invite à savoir ce que vous en pensez ? Ce que vous croyez ? A essayer pour apprendre, pour tester l’expérience. Quasiment jamais. Donc petit à petit, cette voix va s’affaiblir, jusqu’à disparaitre pour certain.

Pourtant c’est elle qui sait ce qui est juste. C’est elle qui donne confiance en soi.

Donc une fois adulte, soignant, quand on vous demande de vous positionner, de donner votre avis, et bien vous imaginez que l’autre sait toujours mieux que vous, encore plus le médecin, lui qui sait, comme l’enseignant, qui a l’expérience comme les parents, qui a fait plus d’études comme le professeur. Comment faire valoir sa voix, son avis, son intuition que ce n’est pas bon, que ce n’est peut-être pas la bonne solution si vous estimez que la parole de l’autre a plus d’importance que la votre ?

Difficile et pourtant nécessaire pour éviter beaucoup de situation de contention injustifiée.

Posez-vous 2 minutes la question : Et si c’était ma mère ? Mon fils ? Moi dans ce lit attaché aux barreaux. Où serait alors ma dignité ? Mon humanité ? Ma place en tant qu’être humain ? Ou serait le respect de ma vulnérabilité ? De mes troubles ? De ma maladie ?

Attacher un homme ne doit JAMAIS être un acte anodin, être considéré comme une prescription comme une autre.

On devrait toujours se sentir choqué de voir un homme ligoté.

La place du refus sans contention

Yves GINESTE nous dit :

Un adulte psychiquement autonome, qui comprend que c’est un soin mais le refuse quand même : le soignant respecte son refus.

Un adulte dont l’autonomie psychique est altérée, qui ne comprend pas que c’est un soin, se croit agressé, violenté, voire torturé et l’exprime : le soignant ne respecte pas sa réaction.

Certes, ce n’est pas un refus verbalisé. Certes, ce n’est pas un refus cognitif. Mais c’est plus qu’un refus : ce sont généralement des expressions corporelles très virulentes (cris, gestes…) indiquant que la personne se sent violentée et se défend. Et on ne le respecte pas.

Notamment parce que notre héritage culturel, qui a donné au cognitif une importance considérable (qu’en est-il des personnes atteintes de démence dans une culture du « je pense donc je suis » ?), nous conduit à être aisément dominé par la pensée que « le patient ne sait pas ce qu’il fait » – puisqu’il est dément – et que, ne sachant pas ce qu’il fait, ne connaissant pas son bien, nous devons faire le soin – « son bien » – quand même.

Notamment parce que nous avons également développé une conception très cognitive de l’autonomie psychique – centrée sur le « je sais ce qui est bon pour moi » – aux dépens d’une conception plus globale – « je sais et je sens ce qui est bon pour moi » – qui, elle, nous impose de respecter cette autonomie psychique même s’il ne reste que l’un de ses deux composants (ici, le ressenti).

Parce que le respect de l’autonomie, nous y reviendrons, est l’un des principes éthiques fondamentaux du prendre-soin, nous devons tout mettre en œuvre pour parvenir à éviter ces soins de force.

Gineste, Yves, Rosette Marescotti, et Jérôme Pellissier. « L’humanitude dans les soins », Recherche en soins infirmiers, vol. 94, no. 3, 2008, pp. 42-55.

L’agressivité est souvent une motivation de prescription de contention. Elle aussi un moyen d’expression. Peut-être avons-nous à l’entendre plutôt qu’à le taire ?

Je vous propose d’explorer ce sujet dans cet article qui complètera celui-ci : L’agressivité des patients ou de leurs familles.

Vous l’aurez compris, il n’y a pas de situation idéale, pas de recette miracle. C’est toujours un choix du moindre mal. C’est à dire qu’il faut choisir la moins mauvaise solution à défaut de pouvoir choisir la meilleure, ou l’idéal. Mais elle ne doit pas nous exempter de la réflexion, jamais, et surtout pas de l’évaluation régulière. Ne JAMAIS considérer comme acquis cet acte, comme quelque chose qui s’installe dans la durée.

Cynthia M.

Pour creuser ce sujet de la culpabilité, je vous propose un autre article qui ne parle que de culpabilité. Le découvrir ici.

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